Droits de douane : dans la guerre commerciale, Donald Trump tire le premier, l’Europe se dit prête “à négocier “ et “à réagir”

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Donald Trump sʼapprête à déclencher, le mercredi 2 avril une guerre commerciale mondiale en réaction à ses annonces de nouveaux droits de douane sur des produits du monde entier. © Molly Riley/White House/Planet Pix via ZUMA Press Wire


Le président nationaliste a annoncé, le 2 avril, l’instauration massive de droits de douane, ouvrant un nouveau cycle dans la mondialisation capitaliste. Avec 20% de taxes annoncées, il place ainsi l’Europe au cœur d’un conflit économique qu’elle n’a pas anticipé. “Depuis le début, nous avons toujours été prêts à négocier avec les États-Unis afin de supprimer les derniers obstacles au commerce transatlantique. En même temps, nous sommes prêts à réagir”, a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 3 avril.
“Libération Day”. Toujours sujet à la boursouflure rhétorique, Donald Trump a donc fait du mercredi 2 avril, une “journée de libération”, via l’instauration massive de droits de douane. Les détails du plan ont été annoncés par le président nationaliste. Au menu : dès le 5 avril les produits entrant aux États-Unis se verront imposer un droit de douane additionnel de 10 % ; puis le 9 avril des dizaines de pays seront visés par des surtaxes présentées comme “réciproques” par l’hôte de la Maison Blanche qui inclut dans son calcul les mesures non tarifaires – sanitaires ou environnementales par exemple – mises en place par les autres pays. Ces droits de douane là, présentés comme une riposte ciblée, seront de 34 % pour la Chine, 20 % pour l’Union européenne, 46 % pour le Vietnam, 24 % pour le Japon, 26 % pour l’Inde ou encore 31 % pour la Suisse.
“Notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis”, a asséné Donald Trump présentant ses mesures comme une “déclaration d’indépendance économique”. Leur nature est des plus claires : engager avec le reste du monde un bras de fer économico-commercial comme jamais depuis la chute du mur de Berlin et l’établissement des règles de la mondialisation. 
C’est toujours la même question qui ressurgit lorsque Donald Trump fourbit l’arme douanière : coup de poker ou vision à long terme ? Il a d’ailleurs décalé au mercredi 2 les annonces, craignant qu’elles n’apparaissent comme un “poisson d’avril” s’il les dévoilait la veille. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, il avait déclenché, une première fois, le mécanisme comme un moyen de pression sur le Mexique et le Canada. 
Les gouvernements des deux pays voisins avaient alors accepté de renforcer la présence de leurs forces militaires respectives aux frontières afin de juguler les flux de migrants et de fentanyl, la drogue qui fait des ravages aux États-Unis. 
On était alors dans la démonstration de force. 

La fin d’une ère 

En franchissant un cap avec la quasi-généralisation des “tarifs”, il s’agit bien plus pour l’hôte de la Maison-Blanche que d’obtenir un levier pour décrocher un “deal” plus favorable. Son objectif déclaré est de faire “revenir la richesse” aux États-Unis. 
La mondialisation et l’instauration du libre-échange depuis les années 1990 auraient nui à la force économique américaine, profitant en revanche aux voisins proches de l’Alena (accord de libre-échange nord-américain) comme à la puissance émergente chinoise. Or, son diagnostic est contesté par les faits : les États-Unis comptent toujours pour un quart du PIB mondial… comme en 1980. La richesse ne s’est donc pas évaporée. Elle a encore moins été “volée” par des pays émergents. 
Donald Trump flatte ainsi le sentiment de déclassement du pays, largement partagé par la base Maga (Make America Great Again). Surtout, il masque la véritable raison du déclassement réel de la majorité de la population du pays : la redistribution vers le haut des richesses à l’oeuvre aux États-Unis depuis deux décennies qui conduit le pays à retrouver son niveau d’inégalités sociales des années 1920, soit avant les politiques redistributrices du New Deal. 

“Liberation Day” : Donald Trump déclare la guerre commerciale mondiale 


Et la “potion” des tarifs douaniers risque fortement d’aggraver la situation en renchérissant le coût de nombreux produits, à commencer par celui de la voiture, objet social symbolique américain s’il en est. Moins de deux mois après son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump doit déjà affronter le scepticisme de ses compatriotes : 53 % (contre 43 %) désapprouvent sa politique économique. Sa promesse de campagne d’amélioration des conditions de vie des classes populaires et moyennes apparaît déjà comme un… bluff. 

L’Europe va-t-elle plier ? 

Donald Trump achèvera-t-il l’homme malade qu’est l’Europe ? Irrité par un déficit commercial qu’il estime à “300 milliards de dollars”, le président états-unien accélère le tournant unilatéraliste. La Commission européenne conteste ce montant qu’elle évalue à 150 milliards d’euros (157 milliards de dollars) sur les biens, et seulement à 50 milliards une fois pris en compte l’excédent commercial états-unien dans les services. 
L’objectif de Donald Trump est triple : lever les barrières non tarifaires mises en place par l’Union européenne à l’instar des normes environnementales et les réglementations sur le numérique ; ralentir la transition énergétique du Vieux Continent afin de remplacer les Russes sur le marché de l’approvisionnement en gaz et en pétrole ; et, enfin, parachever la saignée de l’économie des Vingt-Sept déjà promise, par l’ancien président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, à une “lente agonie” du fait de son retard industriel. 
Pour parvenir à son but, Donald Trump cible principalement l’automobile, les métaux – l’acier et l’aluminium sont déjà taxés à 25 % – la pharmacie, les semi-conducteurs et le bois de construction. 
Autant de filières stratégiques que Washington cherche à attirer sur son territoire. 
La Commission européenne juge que les taxes américaines affecteront 26 milliards d’euros de marchandises. “Elles sont mauvaises pour les affaires et encore pires pour les consommateurs. (…) Des emplois sont en jeu. Les prix vont augmenter. En Europe et aux États-Unis”, prévient la présidente Ursula von der Leyen. Pour l’heure, Bruxelles joue la montre et repousse à la mi-avril d’éventuelles mesures de rétorsion. Dans sa riposte, l’UE prévoit “d’attaquer les services numériques”, a assuré jeudi 3 avril la porte-parole du gouvernement français Sophie Primas tandis que la présidence de la République a fait savoir qu’Emmanuel Macron réunirait, à l’Élysée, “les représentants des filières impactées par les mesures tarifaires annoncées par les États-Unis”. 
Depuis le début, nous avons toujours été prêts à négocier avec les États-Unis afin de supprimer les derniers obstacles au commerce transatlantique. En même temps, nous sommes prêts à réagir”, a de son côté annoncé la présidente de la Commission européenne jeudi 3 avril, ajoutant qu’ “il n’est pas trop tard pour répondre aux préoccupations par les négociations”. 
La Commission a, en réalité, déjà commencé à plier en délestant le pacte vert, érigé en priorité lors du précédent mandat, de certaines dispositions emblématiques. Il y a enfin ceux qui entendent pousser leur avantage dans le sillage de la Blitzkrieg engagée par Donald Trump. Une partie du patronat européen profite du mouvement trumpien pour déplorer les “entraves” à l’exportation : coût de l’énergie, taux d’imposition, rémunération du travail trop élevée, règles environnementales… l’occasion était trop belle. 

Quels secteurs vont trinquer en France ? 

Ce qui est traditionnellement un poids pour la France, à savoir son déficit commercial, pourrait pour une fois se révéler un atout face aux décisions de Trump. C’est la dernière note de conjoncture de l’Insee qui le dit : la France sera l’un des pays européens les moins touchés par la guerre douanière des États-Unis, qui ne pèsent que pour 6,2 % soit 60 milliards d’euros en 2024, dans les exportations françaises, contre 8,5 % en moyenne pour l’UE. 
Certains secteurs économiques français n’en seront pas moins lourdement pénalisés. En valeur toujours, c’est l’aéronautique qui représente le secteur le plus lourd dans les exportations françaises vers les États-Unis. Mais Airbus a commencé à produire des avions A320 en Alabama et devrait en être exempté sur son modèle le plus vendu. “On ne devrait pas être directement impacté par les tarifs douaniers”, a confirmé Guillaume Faury, directeur général d’Airbus, dans une interview à la chaîne CNBC. Ce sont plutôt les sous-traitants français des deux géants – Airbus et Boeing – qui seraient touchés par une hausse de tarifs douaniers de 25 %, d’autant plus qu’ils en étaient jusqu’ici exemptés. 
Côté alcool, on reste dans le flou. La menace brandie par Trump de porter les droits de douane sur les vins et spiritueux français à 200 % – soit un triplement du prix des bouteilles – relève d’un véritable embargo. C’était une réaction complètement disproportionnée à la volonté de l’Union européenne de taxer à 50 % le bourbon américain. 
Face à la menace, l’Europe repousse sa décision, et nul ne sait si Trump en fera de même. Les États-Unis sont le premier marché extérieur des champagnes (plus de 800 millions d’euros exportés), du cognac (1 milliard d’euros) et des vins de Bordeaux (340 millions d’euros). Les secteurs du luxe et des cosmétiques pourraient aussi pâtir d’une hausse des droits de douane de 25 %, même si la partie la plus aisée du public ciblé a les moyens d’encaisser cette augmentation des prix. 
Luxe, champagne et cognac : s’il y en a un qui grince des dents, c’est Bernard Arnault, patron de LVMH. Le milliardaire mise sur sa proximité avec Trump et sa fille Ivanka – il était le seul patron français invité à l’investiture du président – pour éviter la casse. Il s’acoquine aussi avec Elon Musk et multiplie les investissements aux États-Unis, avec une nouvelle usine Louis Vuitton au Texas, pour obtenir un passe-droit. 
Bernard Arnault redouble de signes d’allégeance, conscient que Trump mène à la fois une guerre commerciale et une guerre de valeurs. Comme beaucoup de grands patrons français, il a reçu une lettre, dans laquelle leurs entreprises doivent assurer qu’elles “n’opèrent aucun programme faisant la promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion”, sous peine de ne pas pouvoir décrocher de contrats fédéraux. 

Droits de douane : Pourquoi l’Allemagne retient son souffle


Le conservateur Friedrich Merz est le favori des élections législatives 
en Allemagne 

Au-delà de l’automobile, première frappée par la guerre commerciale de Trump, la menace plane sur toute une économie, déjà en récession, au point de déstabiliser le débat politique jusque dans l’entourage de Friedrich Merz.
L’industrie allemande, déjà mal en point, va être frappée de plein fouet par les hausses de tarifs douaniers engagées par l’administration Trump. Les champions du secteur automobile – Volkswagen, Mercedes et BMW – sont les plus immédiatement concernés. Ils vendent aujourd’hui, sur un an, quelque 450 000 berlines fabriquées en Allemagne aux États-Unis. 

Deux années de récession 

Mais tout le reste d’une industrie allemande largement dépendante de ses résultats à l’exportation va être touché par une nouvelle réduction de ses débouchés. Les États-Unis ne sont-ils pas redevenus depuis deux ans, devant la Chine, le premier partenaire commercial de l’Allemagne ? Avec des conséquences très graves pour l’activité économique du pays et, par ricochet, pour toute l’Europe. 
En Allemagne, déjà enlisée dans la récession depuis deux ans, la crainte des pires développements se précise. Doublement pénalisées par la flambée des coûts de l’énergie depuis l’arrêt de ses importations de gaz naturel russe bon marché et par un programme dit de transition énergétique livrée au principe de “l’écologie de marché”, les perspectives de l’économie allemande ne cessent de se ratatiner et s’immiscent, ces jours-ci, jusque dans le débat politique intérieur. 
Les conséquences sur les pays en voie de développement de ce tournant protectionniste risquent d’être dévastateurs comme le démontre Mia Mottley, Première ministre de Barbade et présidente du Caricom. 

Christophe Deroubaix-Pierric Marissal-Lina Sankari 
Bruno Odent (L’Humanité 2 avril 2025 et 3 avril 2025) 

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