L’économiste guadeloupéen Jean-Marie Nol, dans une tribune du 27 novembre dernier pose la question : “Que coûtent vraiment les Antilles à la France et l’Europe ?”.
Il interroge : “Dans un contexte où la France traverse une crise budgétaire majeure, où l’Europe revoit drastiquement ses priorités et où le monde bascule vers un nouveau centre de gravité asiatique, la question du coût du lien financier entre l’Hexagone et les Antilles prend une signification inédite”.
Voyons sa réponse.
Le rôle des importations : contrepartie des transferts financiers de la France et de l’Europe ?
Il écrit d’abord : “La première source de confusion, entretenue dans les débats publics, réside dans l’idée que la France tirerait un profit automatique des importations des Antilles. Chaque voiture, appareil électroménager ou marchandise venue de métropole serait supposément une manne fiscale drainée vers Paris”. Il avance l’explication suivante : “Cette représentation, séduisante par sa simplicité mais factuellement fausse, ignore le fonctionnement réel de la fiscalité locale. L’immense majorité des marchandises importées en Guadeloupe et en Martinique sont taxées par l’octroi de mer et l’octroi de mer régional, des impôts collectés intégralement par les collectivités ultramarines”.
C’est ignorer que les marchandises exportées vers les pays dits d’outre-mer sont facturées hors TVA et que la TVA est perçue à l’entrée de chaque territoire par la douane à des taux certes minorés et alimentent le budget de l’Etat. De plus l’achat de produits en France et en Europe génère de l’activité, des emplois et des profits dans ces fournisseurs. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré maintes fois l’économiste Olivier Sudrie dans des études réalisées à la demande de la Chambre de commerce.
Notre économiste JM Nol soutient, par ailleurs, que les importations des Antilles, hors produits alimentaires, viennent le plus souvent d’Asie (Chine, du Vietnam, de Corée ou d’Indonésie). En réalité en 2024, selon l’Iedom, 70,8 % de nos importations proviennent de France (1,9 milliard d’euros) et 13,2 % de l’Union européenne (354 millions d’euros). Seuls 5,9 % ont comme origine l’Asie (159,5 millions d’euros). Et pourtant Jean-Marie Nol croit pouvoir dénoncer une “confusion persistante illustre un déficit chronique d’information et une méconnaissance profonde des réalités économiques locales”.
Indiquons de surcroît que les fonds européens attribués à la Martinique et programmés sur 2021/2027 ont représenté 112 millions d’euros annuels (Iedom). A comparer avec les importations d’Europe de 354 millions en 2024. L’écart est sans commentaires.
Le déficit des transferts publics plus apparent que réel
Deuxième argument avancé : “En 2024, les Outre-mer ont rapporté à l’État environ 3,6 milliards d’euros, dont près de 2 milliards provenant des seules Antilles-Guyane, tandis que les dépenses publiques pour l’ensemble de l’outre-mer s’élèvent à 28,7 milliards, dont environ 5,2 milliards pour la Guadeloupe et la Martinique”. En effets les crédits alloués par l’Etat à la Martinique se sont montés en 2024 à 2,8 milliards d’euros et à 2,4 milliards d’euros en 2025(source : Rapport Iedom 2024). Le déficit des Antilles serait donc de 3,2 milliards d’euros.
A comparer avec le montant des importations martiniquaises à 1,9 milliards d’euros et non avec les recettes de l’Etat de 2 milliards d’euros aux Antilles –Guyane. C’est bien le nœud du système des transferts publics qui a remplacé celui de l’exploitation des denrées coloniales (sucre, cacao, café, etc) qui a enrichi Nantes, Bordeaux, etc.
L’économiste Olivier Sudrie démontre que “En tenant compte des effets en retour sur la métropole, il apparaît qu’un euro de dépense publique dans le département (de Martinique) se traduit par un déficit net consolidé de 20 centimes. Le même euro, mais dépensé cette fois dans une autre région française laisserait, en moyenne, un déficit net de 13 centimes”. Autrement dit, il existe un retour de 80 centimes. En 2024 cela ferait un retour pour la France de 2,2 milliards d’euros.
Et de citer en outre “les dispositifs créés pour compenser les handicaps structurels des territoires ultramarins : sur-rémunération des fonctionnaires, exonérations de charges, TVA réduite, défiscalisation, dispositifs d’allègement du coût du travail. Près de 4 milliards d’euros par an sont consacrés à ces mécanismes, dont 2,8 milliards pour les sursalaires”. Pour tous les pays dits d’outre-mer s’entend.
Pour un changement de modèle économique et social
Et c’est à ce stade que Jean-Marie Nol introduit l’actuelle crise financière de l’Etat français. Citons : “Ce modèle, essentiel mais fragile, est aujourd’hui confronté à une mutation brutale du contexte national : dette française record, croissance faible, contraintes budgétaires sévères et marges de manœuvre quasi nulles. L’État n’a plus la capacité de maintenir éternellement le même niveau d’engagement financier, et l’hypothèse d’une contraction progressive des transferts n’est plus théorique”.
Pour compléter ce sombre tableau il évoque enfin la baisse des fonds européens pour 2028/2034 : “Cette fragilité est accentuée par la recomposition en cours du cadre financier européen pour 2028-2034. Les régions ultrapériphériques craignent une remise en cause de l’article 349 du Traité, qui justifie leur traitement spécifique. La Commission européenne propose une recentralisation des financements et une diminution des enveloppes dédiées à la cohésion, à la pêche, à l’innovation ou à l’agriculture, ce qui constitue une menace directe pour les Antilles”. Effectivement et notre journal s’en est fait l’écho récemment.
Il faut bien accueillir les pays de l’Est européen qui constituent de nouveaux marchés pour les pays majors de l’Union européenne.
La dépendance financière des Antilles entrainerait mécaniquement un effet de recul économique et sociale (récession) de la rétraction des crédits français et européen en cours.
Alors ? L’économiste Jean –Marie Nol, après avoir longuement décrit le cataclysme économique et social qui s’abattrait sur la Guadeloupe et la Martinique, avec son vocabulaire, conclut qu’il faudra changer de modèle économique et social.
Il énonce : “Le vrai enjeu est celui de la transformation structurelle : diversification, montée en compétences, développement endogène, autonomie productive minimale”.
C’est ce que nous appelons la “refondation économique et sociale” du pays. Mais pour la réaliser il faut conquérir des leviers locaux de décision institutionnels, économiques et fiscaux plus étendus, c’est-à-dire l’Autonomie.
Ce que Jean-Marie Nol jusqu’à maintenant refuse en limitant l’extension des pouvoirs à un article 73 renforcé. Toutefois il réalise que l’accumulation des dangers de l’austérité en France et en Europe capitalistes nous impose de plus en plus un changement de modèle économique. Et les contradictions de l’actuel système néo-colonial le poussent cahin-caha en avant.
Michel Branchi (29/11/2025)

