Guerre en Ukraine : Face à l’ultimatum de Trump, Zelensky entame les négociations sur le plan de “paix”

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Avec le plan américain pour mettre fin à la guerre avec la Russie, l’Ukraine pourrait être confrontée à un choix très difficile : la perte de dignité ou le risque de perdre un partenaire clé, les États-Unis. Photomontage Simon Sven/DDP Images/ABACA

Le plan de “paix” en 28 points remis par les États-Unis, jeudi 20 novembre, aux autorités ukrainiennes, se présente déjà comme un coup de force du président républicain : Donald Trump a laissé à son homologue, Volodymyr Zelensky, jusqu’au 27 octobre pour y répondre favorablement. Un rejet entraînerait une fin de l’aide accordée par les États-Unis. Après les défaites militaires et le scandale de corruption, la pression s’accroît sur le président ukrainien.

Sur le front de l’est, les mauvaises nouvelles se succèdent pour l’armée ukrainienne. La ville de Koupiansk, dans la région de Kharkiv, serait contrôlée par l’armée russe. Le commandant du groupement de troupes Ouest, Sergueï Kouzovlev, l’a annoncé à la télévision russe. Dans la région de Donetsk, Lyman, Siversk et Pokrovsk seraient également en passe d’être conquises. Le chef de l’état-major russe, Valeri Guerassimov, a assuré que les troupes russes avançaient “pratiquement sur tous les fronts”.

Trump lance un ultimatum à Kiev

À Kiev, les négociations ont débuté sur le plan de paix en 28 points, publié en intégralité par plusieurs médias ukrainiens. Volodymyr Zelensky a confirmé, vendredi 21 novembre, « travailler » sur le projet américain. “Nous sommes en train de travailler sur le document préparé par la partie américaine. Ce plan doit assurer une paix réelle et digne”, a indiqué le président ukrainien sur X, à l’issue d’une conversation téléphonique avec plusieurs dirigeants européens.

Parmi les 28 points avancés, le premier évoque la nécessité de confirmer “la souveraineté de l’Ukraine” mais stipule que les  “forces armées ukrainiennes seront limitées à 600 000 soldats”. Et que Kiev “accepte d’inscrire dans sa Constitution qu’elle ne rejoindra jamais l’Otan”. L’Alliance s’engage aussi à “ne pas stationner ses troupes sur le territoire ukrainien”, tandis que des  “avions de combat européens seront stationnés en Pologne”.

En échange, Washington promet, une fois l’accord de paix signé, des “garanties de sécurité fiables”. Un document annexe a été présenté.

Washington propose un accord de sécurité sur dix ans

Ce texte stipule, selon le site d’information Axios, que toute future “attaque armée significative, délibérée et soutenue” de la part de la Russie contre l’Ukraine “sera considérée comme une attaque menaçant la paix et la sécurité de la communauté transatlantique”, et que les États-Unis et leurs alliés réagiront en conséquence, y compris par la force militaire. Cette garantie de sécurité serait valable pour une durée initiale de dix ans et pourrait être renouvelée d’un commun accord. Le document serait soumis aux signatures de l’Ukraine, des États-Unis, de l’Union européenne, de l’OTAN et de la Russie.

Un haut responsable de la Maison-Blanche a déclaré à Axios  “que la Russie avait été informée du projet”, mais on ne sait pas si la signature du président Vladimir Poutine sera finalement requise. L’envoyé de Trump, Steve Witkoff, qui a pris la tête de la rédaction du plan en 28 points, a discuté de ces garanties avec le conseiller à la sécurité nationale de Zelensky, Roustem Oumierov.

“L’Ukraine pourrait être confrontée à un choix très difficile : la perte de dignité ou le risque de perdre un partenaire clé”, les États-Unis, a déclaré Volodymyr Zelensky dans une adresse à la nation, estimant que le pays traverse “l’un des moments les plus difficiles de (son) histoire”. Englué dans un scandale de corruption, le président prévoit de discuter “dans les prochains jours” avec son homologue américain Donald Trump.

Mais la presse ukrainienne avait révélé vendredi 21 novembre que les États-Unis ont lancé un ultimatum à l’Ukraine. En cas de refus de l’accord, Washington entend réduire le partage de renseignements et les livraisons d’armes à l’Ukraine afin de la contraindre à accepter le cadre d’un accord de paix négocié par les États-Unis.

Donald Trump a confirmé que le 27 novembre, jour de la fête de Thanksgiving, était une date butoir “adéquate” pour recevoir une réponse. “Il faudra bien que cela lui plaise, et si cela ne lui plaît pas, alors, vous savez, ils n’auront qu’à continuer à se battre”, a prévenu le président américain, vendredi, avant d’avertir sèchement le président ukrainien qu’il n’a “pas les cartes en main”.

Sous pression, Zelensky négocie en durcissant le ton

À Kiev, les habitants semblent extrêmement critiques face à ce plan. Certains reprennent le terme de capitulation. Face à ces réactions, Volodymyr Zelensky a renchéri : “Je présenterai des arguments, je persuaderai, je proposerai des alternatives”, a-t-il promis, ajoutant : “Je ne trahirai jamais (…) mon serment de fidélité à l’Ukraine.”

“Nous sommes dans la première phase des pourparlers, avec une navette diplomatique entre les différents acteurs. La plus grande incertitude provient de Moscou et des résultats militaires. Si les Russes voient qu’ils sont en pleine phase de conquête et de progression, ils vont encore essayer de gagner du temps pour améliorer encore davantage leur position”, analyse le directeur de recherche à l’IRIS Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou.

Vladimir Poutine a, lui, jugé que le plan américain pouvait “servir de base à un règlement pacifique définitif” du conflit lancé en 2022. Il s’est dit prêt à une “discussion approfondie de tous les détails” du texte élaboré par Washington. En cas de refus ukrainien, “les événements qui se sont produits à Koupiansk se reproduiront inévitablement sur d’autres secteurs clés du front”, a averti à son tour le président russe. “Le fait que Kirill Dmitriev, conseiller de Vladimir Poutine, soit un des coauteurs du document au titre d’envoyé spécial de Vladimir Poutine dévoile l’implication sérieuse des Russes. Kirill Dmitriev a un accès privilégié au président”, constate Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.

Dans le projet de paix, les trois régions que sont la Crimée, Donetsk et Lougansk “seront reconnus de facto comme russes, y compris par les États-Unis”. Les zones dont l’Ukraine s’est retirée à Donetsk seraient considérées comme une zone démilitarisée dans laquelle les forces russes n’entreraient pas, selon le plan. En ce qui concerne les régions de Kherson et Zaporijjia, que la Russie occupe partiellement et revendique, elles seraient “gelées le long de la ligne de contact”.

Ce qui en fait, selon le plan, une “frontière effective”. Les autorités russes devront renoncer aux territoires conquis dans les oblasts de Kharkiv, Dnipropetrovsk, Soumy et Tchernihiv. Cette zone de retrait sera “considérée comme une zone tampon neutre et démilitarisée, internationalement reconnue comme territoire de la Fédération de Russie”, poursuit le document.

Les Européens devront donner leur aval

Dans l’accord, un des points appelle également à “l’amnistie totale pour les actes commis pendant la guerre” pour toutes les parties, ce qui pourrait protéger la Russie de toute responsabilité pour les accusations de crimes de guerre, tout en permettant aux responsables ukrainiens d’échapper à leur responsabilité en matière de corruption. Le Wall Street journal (WSJ) révèle que l’Ukraine aurait défendu cet amendement via le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, Roustem Oumerov.

L’autre interrogation porte sur le rôle et l’attitude des dirigeants européens. “Par rapport aux deux premiers projets en avril et en août, leur capacité de blocage, très forte à l’époque, est désormais grandement affaiblie. Le plan a été élaboré sans eux et avec la Russie”, estime Jean de Gliniasty. Néanmoins l’Union européenne et les dirigeants allemand, français, britannique, devront donner leur aval sur plusieurs points : l’Otan, la fin des sanctions à l’égard la Russie, et l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. “Il est stipulé son droit d’adhérer et de bénéficier d’un accès préférentiel à court terme au marché européen pendant l’examen de sa candidature”, note un diplomate à Bruxelles.

Le chancelier allemand Friedrich Merz a déjà annoncé, vendredi 21 novembre, s’être “mis d’accord sur les prochaines étapes” avec le président américain lors d’un entretien téléphonique.

Donald Trump apparaît comme le grand vainqueur de cet accord. Il se place au-dessus de la mêlée en créant et en dirigeant un conseil de paix censé superviser la mise en application du texte et de ses différentes dispositions. Le président en ressort avec des avantages économiques sur la reconstruction, l’énergie, les ressources minières. Par ailleurs, Trump veut accélérer sa coopération économique avec la Russie, avec le gel des sanctions et la réintégration au G8. “Cela démontre que, pour Trump, c’est important. Du côté américain, l’intérêt, si jamais ça se produit, est d’éloigner Moscou de Pékin. Car la Russie serait réintégrée dans un club par excellence occidental, et duquel les Chinois sont exclus. D’ailleurs, ces derniers sont parfaitement absents de ce plan pour l’instant, tout comme de sa réalisation”.

Avec Vadim Kamenka (L’Humanité du 22 novembre 2025)