Les 20 et 21 juin, les élus de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) étaient réunis en séance plénière. Un programme chargé avec 5O sujets à traiter pendant les deux jours. Cette réunion mensuelle obligatoire s’est lancée, dans la salle Camille-Darsières de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM).
Dès 9h40 le jeudi matin, les élus ont commencé à échanger sur 43 points à l’ordre du jour et 7 dossiers d’accompagnement et de projets de loi. La réunion s’est clôturée le vendredi 21 juin. Parmi les dossiers importants à traiter, le compte administratif de la collectivité territoriale de Martinique pour l’exercice 2023, le projet de révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), ou encore le transfert des 50 pas géométriques à la collectivité territoriale de Martinique.
1/ Le compte administratif de la collectivité territoriale de Martinique pour l’exercice 2023 : Un taux d’exécution en investissement inférieur de plus de la moitié aux promesses
La caractéristique principale de ce compte administratif 2023 est le faible taux d’exécution des dépenses, surtout en investissement.
A) Rappel : une opération Budget Primitif 2023 d’affichage et de prestidigitation (Justice n°6 du 9/02/2023)
Le BP 2023 avait été artificiellement gonflé. Nous avions souligné cette supercherie.
“Le projet de budget primitif général 2023 s’établit à 1 758 42 5 942 €. Le budget principal se décompose en :
Recettes
- 581 241 202 € pour l’investissement (+ 236,2 M€ et + 68,4%)
- 1 148 531 2 15 € pour le fonctionnement (+ 96,7 M€ et +9,20%)
Dépenses
- 68 3 444 252 € pour l’investissement (+ 257,8 M€, + 60,6 %)
- 1 046 328 165 € pour le fonctionne ment (+79,7 M€, + 8,2 %)
Une augmentation du budget financée en partie par une forte augmentation de l’emprunt : 247 M€ en 2023 contre 185 M€ en 2022, soit + 62 M€ et + 33,5 %. L’encours de la dette de la CTM dépassera le milliard d’euros en 2023”.
Une analyse du budget primitif 2023 de la Collectivité territoriale de Martinique que nous avions qualifié “d’opération d’affichage et de prestidigitation” se caractérisant notamment par :
- Une augmentation globale de 254 millions d’euros, soit +17,2% pour atteindre 1,758 milliard d’euros ;
- Une augmentation des recettes de 332 M€, soit +23,8 %, dont des recettes fiscales de 79,3 M€, soit + 11,3 %, largement surestimée ;
- Une augmentation des dépenses d’investissement de 257,8 M€, soit + 60,6 % pour atteindre 683,4 M€ ;
- Une augmentation de l’emprunt de 62 M€, soit + 33,5 % pour atteindre 247 M€ ;
Une augmentation de la dette de 180 M€ pour culminer à 1,067 milliard d’euros !
Une augmentation du service de la dette aux banques de 17,4 M€ pour atteindre 94,5 M€, soit l’équivalent, par exemple, des budgets de l’action économique (82 M€) ou de l’aménagement du territoire (69 M€).
Dans Justice de février 2023 nous avertissions en nous appuyant sur le Cesecem :
“Ces caractéristiques n’échappent pas au Cesecem qui, dans son avis sur ce BP 2023, écrit : “d’une part, le pouvoir fiscal de la CTM, appréhendé sous l’angle de l’autonomie, reste limité et la marge manoeuvre est quasi nulle pour la section de fonctionnement ; d’autre part, les recettes fiscales indirectes dépendent, au moins en partie, de paramètres dont la CTM ne possède pas l’entière maîtrise. L’apparent dynamisme des produits de fonctionnement est en trompe-l’oeil au regard de l’accélération de l’inflation depuis plusieurs mois. Il en résulte la nécessité de conjuguer agilité, souplesse et capacité d’anticipation dans une conjoncture marquée par de profondes incertitudes et un risque de volatilité des recettes locales. Enfin, les marges de manoeuvre budgétaires sont relativement réduites (…)”.
Marge de manoeuvre quasi nulle, dynamisme des produits de fonctionnement en trompe l’oeil, incertitudes, volatilité des recettes fiscales, c’est un jugement sévère : Comment justifier un budget en augmentation de 24,3 % et un investissement qui bondit de 60,6 % ?”
Avertissement sévère du Césecem
Mais le même Césecem ne cachait pas son inquiétude en avertissant sur les risques financiers. Dans ce même avis il écrit dans sa conclusion : “il est clair que la situation financière de la CTM est tributaire des charges et des produits de fonctionnement, mais aussi du coût de l’emprunt et des contraintes pesant sur l’investissement local (renchérissement des marchés, difficultés d’approvisionnement, etc.). Le CESECEM recommande une vigilance accrue sur d’éventuels risques de dégradation des principaux indicateurs tels que l’EPARGNE BRUTE et la CAPACITÉ DE DESENDETTEMENT DE LA COLLECTIVITE(…)”.
B) Compte administratif 2023 : Non résolution du BP 2023
Pour prévenir la critique de non exécution du BP 2023 au Compte Administratif 2023, dans le propos introductif le président du conseil exécutif avance : “Pour la gestion 2023, le niveau de réalisation a été particulièrement impacté par la cyber-attaque qui a affectée lourdement l’activité des services de la CTM”. Voire.
Le résultat de l’exercice général toutes sections confondues s’élève à 10 009 647,02 € pour l’exercice 2023.
Le budget principal présente un résultat de la section fonctionnement excédentaire de 15 321 102,96 € mais aussi de la section d’investissement de 8 928 122,52 €.
Les résultats globaux de clôture du budget général :
- Résultat du Budget principal : 24 249 225,48 €
- Résultat global de l’exercice : 10 009 647,02 €
- Restes à réaliser en dépenses : 113 458 482,04 €
- Restes à réaliser en recettes : 89 809 670,20€
À noter que les restes à réaliser sont importants en dépenses : 113,5 M€
Résultats globaux nets de clôture : 12 014 198,56.
I-Recettes
Les ressources de la Collectivité Territoriale de Martinique s’élèvent en fonctionnement à 1 151 582 159,29 €. Le taux de réalisation des recettes passe de 88,9% (en 2022) à 89,8%(p7).
Mais les recettes d’investissement annoncées étaient de 759 938 108,11 € alors qu’elles n’ont été que de 313 939 355,42 €, soit 41,3%.
Alors que le montant d’emprunts programmé était 287 000 000,00 €, il n’a été réalisé que 105 000 000,00 €, soit 37% !
En page 9 on a le détail des taux d’exécution des recettes :
- A noter par exemple que pour l’action économique il avait été annoncé 84,6 M€ de recettes d’investissement, il n’a été réalisé que 4,5 M€, soit 5,3 %. En fonctionnement 2,2 M€ étaient programmés en recettes et il n’a été accompli que 0,6 M€, soit 25,2 %.
- Pour les fonds européens les recettes d’investissement prévues étaient de 142 M€, elles n’ont été que de 36,2 M€, soit 25,48%. Soit un quart.
- Enseignement-formation 27,5 % ; culture-sports 10,8 % ; transports 9,8 % ; virement de la section de fonctionnement à l’investissement en recettes 41,7 M€, réalisé zéro ;
- Emprunt annoncé de 304,6 M€ et réalisé 122,5 M€, soit 40,2%.
- Par contre s’agissant des impôts, la CTM a réalisé 112,5 % des prévisions d’impositions directes soit 22,1 M€ au lieu de 19,6 M€ prévus. Les autres impôts et taxes 90,6 % de réalisations, soit 502,5 M€ pour 554,5 M€ prévus. Les impôts et taxes constituent la part la plus significative des recettes de la CTM. Parmi ceux-ci, les taxes sur le rhum (1.872.853,09€), taxe sur les tabacs (33.944.165,00€) sont particulièrement importants. D’autres contributions notables incluent l’octroi de mer régional (94.117.438,38€), les droits de mutation sur les transactions immobilières (31 950 197,81 €), la taxe sur les carburants (83.432.491,98€).
Les ressources financières réelles de la Collectivité Territoriale de Martinique (hors mobilisation d’emprunts et excédents reportés) s’élèvent à 1 268 371 488,37 € en 2023 contre 1 202 766 459,00 € en 2022, soit une augmentation de 5,45%.
II-Dépenses : moins des deux tiers
Le taux de réalisation global des dépenses s’élève à 69,4%.
En page 12, le détail d’exécution des dépenses.
a) Globalement l’investissement a été réalisé à 46,7 %, soit 354,9 M€ contre 760 M€ proclamés triomphalement au BP 2023. Moins de la moitié.
- Par exemple, fonds européens 147,5 M€ annoncés et 40,2 M€ effectués, soit 27,26%. Moins d’un tiers.
- Santé, action sociale (hors RSA) 36,2 % ;
- Aménagement du territoire et habitat 23,5 %(18,4 M€ contre 78,4 M€ promis) ;
- Action économique 24,4 %(20,5 M€ réalisés contre 84,3 M€ annoncés) ;
- Environnement 20,5 % (8,1 M€ contre 39,6 M€ promis) ;
b)Les dépenses de fonctionnement ont été réalisées à 82,8 %, soit 1,062 Milliard d’€ contre 1,282 Milliard d’€ annoncé.
- Par exemple, Enseignement, formation prof, apprentissage : 79,7 M€ promis contre 52,9 M€ réalisés, soit 66,53% ;

- Action économique : 32,1 M€ et 23,9 M€ réalisés, soit 74,3%.
- Culture, vie sociale, jeunesse, sports et loisirs 39,9 M€ promis contre 26,1 M€ réalisés, soit 65,51%.
- De même pour aménagement des territoires et habitat à 50,3% d’exécution et Environnement à 56,9 %.
- Il avait été annoncé 7,3 M€ de provisions et zéro ont été faites. Pas de virement à la section d’investissement en dépenses contre 41,7 M€ programmés.€ annoncés et 23,9 Me réalisés
- Fonds européens : 7,4 M€ annoncés et 3,7 M€ réalisés, soit 49,5 %. La moitié.
c)Dette : Au 31 décembre 2023, la dette de la CTM s’élevait à 922 298 882,46 € avec une annuité de 88 964 278,33 € (dont 66 304 879,74 € de capital et 22 659 398,59 € d’intérêts).
d)Capacité d’autofinancement moindre que prévu
Dans notre note critique sur le BP 2023 nous écrivions : La capacité d’autofinancement de la Collectivité : Surestimation ?
Le rapport du BP 2023 annonce fièrement que « les efforts de limitation de la progression des dépenses de fonctionnement doivent permettre de dégager une épargne brute (recettes – dépenses de fonctionnement) de 102,2 M€ en 2023. Les charges financières sont estimées à 26 M€. L’amortissement contractuel de la dette s’établit à 68,5 M€ pour 2023. L’épargne nette (épargne brute – remboursement du capital de la dette) ressortirait ainsi, compte tenu de ces prévisions à 33,7 M€. Cette épargne représente une capacité d’emprunt de 413 M€ qui ne sera pas utilisée en totalité » (p 27).
Au BP 2022 :
- CAF brute : 77,5 M€ ;
- Charges financières (intérêts) : 15,4 M€ ;
- Amortissement dette (capital) : 61,7 M€ ;
- Epargne nette : 15,7 M€
L’épargne nette aurait donc plus que doublé en 2023 : 33,7 M€ contre 15,7 M€ entre 2022 et 2023.
L’épargne brute au CA 2023 serait de 1 152 M€(recettes de fonctionnement) – 1 062 M€ (dépenses de fonctionnement) = 90 M€
Epargne nette 2023 : 90 M€ – 66 M€ ( remboursement du capital de la dette) = 24 M€. Contre 15,7 M€ au CA 2022 et 33,7 M€ au BP 2023.
Conclusion : L’exécution du budget 2023, au-delà de la cyber-attaque, reflète surtout l’incapacité de l’actuelle gestion de mettre en oeuvre ses promesses pharaoniques. La crise du BTP en apporte une illustration douloureuse. Le délai moyen de paiement de la CTM est de 87,7 jours en 2023 de source data.économie.gouv.fr alors que le délai de paiement légal est de 30 jours.
2/ La consommation pluriannuelle d’énergie de Martinique

La PPE a été présentée par David Zobda qui a d’abord exposé la situation de la consommation énergétique en Martinique, les différents volets de la PPE, le planning de la révision de cette dernière, ainsi que la trajectoire macro-économique. Il a ensuite proposé les orientations et la gouvernance associée.
Globalement, la consommation d’énergie “diminue progressivement, mais pas de manière suffisamment significative, puisqu’elle est liée à la conjoncture. Par contre, la part d’énergie renouvelable augmente. Nous sommes à 26% de la consommation électrique et à 16% de la consommation énergétique totale. Nous importons toujours 91,8% de notre matière première contre 8,2% produite localement”. La consommation d’énergie locale est principalement attribuée au transport (46,4%) et à l’électricité (45,7%).
Les objectifs ambitieux fixés ont été votés à l’unanimité. La trajectoire proposée, basée sur les résultats de 2022 où la consommation d’électricité était de 1346 GWh, prévoit de réduire notre consommation énergétique globale de 15% d’ici 2028 et de 30% d’ici 2033, pour atteindre 2854 GWh. Concernant la consommation de carburant des transports terrestres, celle-ci devra passer de 2600 GWh en 2022 à 1369 GWh en 2033, soit une baisse de 45%. Par conséquent, la production d’énergie renouvelable devra progresser durant cette période. David Zobda a précisé : “Nous sommes dans cet effort global d’économie d’énergie et nous voulons toujours ramener cet effort à une dimension individuelle, si l’on veut statuer sur une dimension collective”. La consommation individuelle est projetée de 11 MWh/habitant en 2022 à 9 MWh/habitant en 2033.

3/ Le transfert des 50 pas géométriques
Les élus ont décidé de renommer la “zone des 50 pas géométriques” en “Bod lanmè Matnik”, abolissant ainsi une appellation issue de l’époque coloniale. L’agence territoriale qui prendra le relais de l’Agence de l’État sera dénommée “Biwo bod lanmè Matnik”.
Afin de permettre à la Collectivité Territoriale d’organiser la gestion de ce futur domaine dans les meilleures conditions, les conseillers territoriaux ont adopté une proposition de loi à adresser au Gouvernement. Cette proposition vise à sécuriser ce transfert de zone, d’un point de vue juridique, réglementaire, technique et financier.
Les principaux points incluent :
- L’obtention de l’État du transfert de la zone des 50 pas géométriques, ainsi que des ressources fiscales et des moyens financiers suffisants pour assurer la gestion du Bod lanmè Matnik (Taxe Spéciale d’Équipement).
- La fixation d’un délai maximal de 12 mois après le transfert de la zone pour dissoudre l’actuelle Agence des 50 pas et transférer ses actifs et passifs vers la nouvelle agence territoriale.
- L’obtention de l’État du règlement des dossiers de régularisation en cours sur la zone.
- La dotation des agents du Biwo bod lanmè Matnik d’un pouvoir de police, en lien avec les communes concernées.
- La modification du code de l’urbanisme afin de permettre au Biwo bod lanmè Matnik de bénéficier du droit de préemption urbain.

L’article 27 de la loi n°2015-1268 du 14 octobre 2015 prévoit le transfert des terrains du domaine public de l’État de la zone dite des 50 pas géométriques vers le domaine public de la Collectivité Territoriale au 1er janvier 2025.
Serge Letchimy, Président du Conseil Exécutif, a déclaré à l’issue du vote : “Nous venons de vivre un moment très important. Les « 50 pas du roi » de 1674 deviennent le Bod lanmè Matnik et, avec le transfert de cette bande de terre, nous prenons la main sur notre littoral. C’est un acte de dignité et de responsabilité. Le combat permettant aux familles concernées d’accéder à un titre de propriété sera accéléré pour les 3000 dossiers en cours et poursuivi pour les 2000 foyers qui sont encore sans titre”.
Ce sera plus dur à réaliser que de changer de nom. La symbolique certes joue aussi son rôle.