Plénière CTM : Un budget primitif 2026 d’austérité adopté sans unanimité

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Les dépenses réelles de fonctionnement de la CTM

Jeudi 18 décembre, la dernière plénière de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) s’est tenue à l’Hôtel de la Collectivité de Cluny. Une plénière qui ne rime pas avec fêtes de fin d’année, car les élus ont étudié des dossiers primordiaux pour le budget de la collectivité. La majorité PPM/Allians a réussi à faire adopter son budget sans convaincre tous les autres groupes qui composent l’assemblée.

Une décision modificative n°3 contestée et un réaménagement des emprunts pour soulager l’annuité de remboursement

Le conseiller exécutif Arnaud René-Corail a présenté le rapport numéro 4 intitulé “DÉCISION MODIFICATIVE N°3 DE LA COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE MARTINIQUE POUR L’EXERCICE 2025 AVEC RÉAMÉNAGEMENT DES EMPRUNTS CONTRACTÉS AUPRES DE L’AGENCE FRANCAISE DE DÉVELOPPEMENT (AFD)”.

Arnaud René-Corail a expliqué que “Ce projet a pour objectif de procéder à des ajustements, à des virements de crédits entre chapitres budgétaires qui s’avèrent nécessaires au regard de la préparation des opérations de clôture de gestion 2025 […] Ce projet a été l’occasion de présenter une opération de réaménagement des emprunts souscrits auprès de l’AFD”.

Selon le conseiller exécutif en charge des finances, ces ajustements concernent des régularisations signalées par le comptable public et des opérations d’ordres liées au suivi du patrimoine de la collectivité.

Le 2 décembre 2025, la CTM et l’AFD communiquaient sur un “nouvel engagement financier de 50 millions d’euros pour accompagner la transformation du territoire martiniquais.” Un nouvel emprunt en fait.

En recettes, il est indiqué à cette DM3 un plus de 5 144 313€ qui concernent des produits de TVA (4 240 711,00€), des annulations de rattachement (760 900,00€) et surtout des créances prescrites de fonctionnement allant de 2007 à 2021 (142 702€). Ces principales dotations budgétaires complémentaires iront en section de fonctionnement en admission en non-valeur et pour l’annulation des titres sur les exercices antérieurs (4 966 430€). “Ce jeu d’écriture permet de sortir ces recettes non-entrées dans les caisses de la CTM pour 5 141 313€”, conclut Arnaud René Corail.

Chef de file du Gran Sanblé, Daniel Marie-Sainte est le premier à réagir à la présentation de ce dossier : “Vous faites des diminutions importantes que vous n’avez pas repris dans votre rapport de 12M€ ! A savoir : L’enseignement et la formation professionnelle : – 2,6 millions ;

Actions économiques :

– 6M€ ; Transport :

– 2,4M€.

Lorsqu’il y a modification, ce sont des choix politiques. Nous allons vous laissez la responsabilité de ces choix et nous n’allons pas voter.”

Daniel Marie-Sainte dénonce des baisses de cette DM3 dans des secteurs déjà sous-tensions, avec de nombreuses manifestations qui révèlent des manques. Début décembre, des étudiants en soins infirmiers de l’IFSI Martinique ont dénoncé leur précarité. Ils ont protesté contre les retards de versement des bourses sanitaires et sociales.

Sur les 45 votants, Marcellin Nadeau s’est abstenu, 9 élus du Gran Sanblé ont voté contre et les 32 autres ont voté favorablement. 3 élus n’ont pas voté.

Le Budget primitif 2026 s’élève à 1,519 milliard d’euros

En introduction, Arnaud René-Corail annonce la couleur : “Le document principal d’une collectivité c’est son budget. C’est de trouver les moyens nécessaires pour investir, fonctionner et payer des salaires”.

Pour justifier ce budget, le rapporteur évoque le contexte de la France : “La situation nationale caractérisée par une dette publique atteignant 116,2% du produit intérieur brut et une instabilité gouvernementale crée un cadre de planification incertain. L’association des départements de France souligne que 54 départements se trouvent en situation de quasi-faillite sur près de 100. Ils sont confrontés à un déséquilibre structurel entre l’augmentation des charges sociales obligatoires (+6 Milliards d’euros en 3 ans) et la diminution simultanée des recettes (- 8,5 Milliards d’euros).”

Selon le rapport, le taux de compensation de l’Etat envers les personnes âgées n’est que de 30% ce qui amplifie mécaniquement l’impact sur les équilibres financiers vu le nombre croissant de personnes âgées en Martinique.

“La Martinique subit ces contraintes nationales, tout en portant les spécificités territoriales”.

Le budget principal est de 1 464 M€ et se décompose en :

1/ Recettes    

374 240 586,00 € pour l’investissement    

1 144 801 691,00 € pour le fonctionnement

2/ Dépenses   

448 023 581,00 € pour l’investissement

1 071 018 696,00 € pour le fonctionnement.

L’investissement est en recul : 334,3 M€ en 2026 contre 337,8 M€ en 2025 (- 3,5 M€) dont hors emprunt de 165 M€ : 169,9 M€ contre 172,8 M€ en 2025 (- 2,9 M€). Concernant le Fonctionnement, il est en hausse : 1 129,2 M€ contre 1 082,4 M€ en 2025 = + 46,8 M€.

Toutefois, le rapport reconnaît que le pouvoir fiscal de la CTM est “limité” : 34,8 % seulement de ressources internes. L’essentiel du budget dépend de ressources de l’État et de l’Europe.

Ce projet de budget présente désormais 5 budgets annexes après la création du budget annexe CEDRE et du budget annexe CTEBIOM.

Ce sont :

1/ Laboratoire territorial d’analyses (LTA) de 4,3 M€ ;

2/ Périmètre irrigué du Sud Est (PISE) de 3 M€ ;

3/ Très Haut Débit (THD) de 41,2 M€ ;

4/ Centre de démoustication et de recherches (CEDRE) de 2,8 M€ ;

5/ Centre Territorial de la Biodiversité de Martinique (CTEBIOM) de 4,3 M€.

L’opposition n’est pas convaincue

Après la lecture de ce dossier important, les élus de l’assemblée se sont exprimés.

Daniel Marie-Sainte (GS) dénonce un budget d’austérité de la CTM, notamment dans l’attribution de crédits à ses différents satellites (Martinique Transport, IMFPA, STIS, AGEFMA, IMS, etc ) : “J’ai comparé ce que les satellites envisagent de solliciter à la CTM pour qu’ils aient un fonctionnement normal et puis ce qui est écrit dans les annexes. Quand je compare les sommes attendues et ce qui est prévu, c’est la catastrophe […] Il y a d’un côté les annonces politiques que l’on fait et d’autre part le financement. Je trouve que ce n’est pas politiquement correct d’annoncer à notre population qu’on va faire sans chiffrer et puis, à la fin, les crédits que l’on met ne permettent pas de faire. Il y a un réalisme dans le rapport qui parle des contraintes financières […]

Dans le domaine du sport, de la formation professionnelle, de l’apprentissage, développement économique, quand je suis allé dans le détail, ligne après ligne, je vois que les montants affichés sont plus faibles que lors de la mandature précédente. C’est ce qui contraint qu’à chaque fois qu’un partenaire va solliciter des financements, on vous donne ce que nos contraintes financières nous permettent de faire. Vous faites un budget avec des choix, ce ne sont pas les nôtres, et nous n’allons pas vous suivre. Il s’agit, selon vous, d’un budget d’optimisation et je considère que c’est de l’austérité qu’on impose aux partenaires, tout en leur faisant croire qu’on fera. Et puis à l’arrivée, les résultats seront décevants.”

Marcellin Nadeau (A2PN) annonce que son groupe ne votera pas et va donc s’abstenir. Il explique son vote : “L’Etat tente de transférer un certain nombre de charges vers les collectivités locales […] ce sont également des choix politiques que fait l’Etat Français. Il y a des choix positifs, on peut comprendre la stratégie qui, dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, vise à essayer de trouver des ressources où elles sont, je pense notamment aux fonds européens. Cela n’empêche pas de contester la réalité des choix budgétaires de l’Etat. Je peux regretter le fait que les questions écologiques, environnementales soient quelque peu laissées pour compte […] J’entends ce qui gronde dans mon pays, on parlait des satellites et des subventions qui sont versées avec beaucoup de retard, oui, c’est un véritable problème […] S’il y a une question qui doit être traitée, c’est celle des délais de paiement, car elle met en difficulté des pans entiers.”

Inutile de préciser que le groupe présidé par Catherine Conconne (La Martinique Ensemble) s’est rangé du côté de l’Allians.

Sandra Valentin (GS) est intervenue pour dénoncer les choix budgétaires de la majorité : “Notre responsabilité d’élus ne s’arrête pas à constater ce qui a été programmé, mais à s’assurer que la CTM aura durablement les moyens de tenir les engagements qu’elle prend. Les autorisations de programmes permettent de savoir ce que vous voulez faire, elles ne nous permettent pas de mesurer suffisamment quand ces projets seront engagés, à quel rythme, ni comment ils pèseront dans la trajectoire financière de la CTM dans les exercices à venir. Nous votons un budget marqué par un niveau d’investissement élevé, un recours significatif à l’emprunt, une épargne nette fragile et une capacité de désendettement qui appel à la prudence.”

Lors du vote, sur 45 votants, 32 ont voté POUR (Allians et La Martinique Ensemble), le Gran Sanblé a voté CONTRE avec 10 voix, José Mirande et Marcellin Nadeau se sont abstenus.

Louis Boutrin n’a pas pris part au vote.

La majorité tente de se justifier dans un communiqué a postériori

Après le vote, la CTM a publié un communiqué pour annoncer avec fierté l’adoption du budget primitif de la majorité. “La Martinique est particulièrement exposée à ces contraintes auxquelles s’ajoutent des réalités territoriales fortes : insularité, surcoûts structurels, vieillissement de la population et niveau élevé de précarité. Les politiques de solidarité représentent ainsi plus de 400 millions d’euros, dans un contexte de compensations étatiques largement insuffisantes […] En 2026, plus de 95 % des dépenses de fonctionnement de la CTM sont contraintes, résultant d’obligations légales ou d’engagements contractuels […] Le budget primitif 2026 n’est ni un budget de confort ni un budget d’attente mais bien un budget qui assume les contraintes sans renoncer à l’ambition. La ligne est claire : préserver aujourd’hui les équilibres financiers pour garantir demain la capacité d’agir, d’investir et de protéger les Martiniquaises et les Martiniquais”.

Rappelons qu’un budget primitif est une prévision et souvent repose sur des évaluations de l’ordonnateur, tant en recettes qu’en dépenses. C’est-à-dire de la majorité politique PPM/Allians.Il contient à la fois des données objectives et des maquillages politiques.

Cependant beaucoup d’annonces sont non financées et donc illusoires.

J-PM et MB

Point de vue de Michel Branchi, ex président de la Commission de finances CTM 2015/2021

En raison d’une conjoncture martiniquaise déprimée en 2025, beaucoup de recettes fiscales assises sur l’activité économique locale sont en retrait.

Les crédits de l’Etat sont au mieux stagnants (dotation de fonctionnement) ou en baisse (fonds de compensation TVA-fonctionnement, dotation de décentralisation, fractions de TVA).

Dans le même temps, les besoins sociaux continuent à augmenter : RSA, santé, APA, etc. Et la compensation des allocations individuelles de solidarité(AIS) par l’Etat reste insuffisante. La collectivité est obligée de contribuer à hauteur de 141 M€.

Pour boucler le budget, la majorité est acculée à user d’expédients tels que : étalement de la dette, baisse et étalement des provisions pour risques, baisse des investissements en action économique et de l’aménagement et habitat, affichage de cofinancements aléatoires avec l’Etat et l’Europe, report de dépenses en engagements pluriannuels (AP et AE), etc.

Cependant le budget 2026 annonce une profusion d’actions-phares de la CTM non évaluées financièrement.

Pour sortir de cette impasse il est plus que jamais nécessaire d’engager la refondation du modèle économique martiniquais et pour agir disposer de nouveaux leviers institutionnels et fiscaux.

Michel Branchi