Une proposition de loi contre la vie chère présentée par la députée Béatrice Bellay (PS)
Lors de leur niche parlementaire, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale a fait voter un texte comprenant un certain nombre de mesures d’urgence contre la vie chère et la concentration économique dans les outre-mers.
Lors de leur temps d’initiative parlementaire, jeudi 23 janvier, les députés socialistes cherchaient à arracher des mesures “concrètes, du quotidien”. La proposition de loi sur les dispositions d’urgence contre la vie chère dans les outre-mers a été votée par 180 voix sur 181.
En septembre dernier, la Martinique a connu une forte mobilisation sur le sujet de la vie chère.
“Cette colère profonde, légitime, est le cri assourdissant de peuples qui refusent le silence”, a rappelé l’auteure de la proposition de loi, la socialiste Béatrice Bellay. “Aujourd’hui, il nous revient (…) de faire face à cette injustice économique et sociale persistante. Une injustice qui enferme 2,8 millions d’habitants des pays des océans dans un système où vivre dignement est un combat quotidien”, a-t-elle défendu.
“Imposer la transparence financière”

Ce projet permettra t-il une vraie surveillance de la construction des prix ?
Le texte prévoit notamment de renforcer le bouclier qualité-prix, qui permet de limiter depuis 2012 les tarifs sur certains biens. Le texte propose d’élargir la liste des produits concernés, à la téléphonie, la pharmacie, les pièces détachées automobiles. Il renforce les prérogatives des observatoires des prix, des marges et des revenus, dans les négociations entre vendeurs et État. La proposition de loi adoptée abaisse le seuil du contrôle des concentrations d’entreprises à 5 millions d’euros.
Surtout, le texte adopté prévoit d’ “imposer la transparence financière, en sanctionnant les entreprises qui refusent de publier leurs comptes et celles qui abusent de leur position dominante”, fait valoir la porte-parole du groupe socialiste. Le secret des affaires est l’un des principaux obstacles pour que les observatoires des prix puissent déterminer les marges.
Du côté du gouvernement, le ministre des outre-mers Manuel Valls s’est montré étonnamment compréhensif sur la problématique des prix. “Comment donner tort à ceux qui parlent d’une France à deux vitesses ?”, a-t-il demandé, constatant que “le partage de la chaîne de valeur en outre-mer n’est pas équitable”.
Attention, le converti au macronisme n’est pas devenu révolutionnaire ! Le gouvernement a voulu, au nom de la sacro-sainte “liberté d’entreprendre” éviter que l’article interdisant aux grands groupes de distribution de détenir une part de marché supérieure à 25 % ne soit maintenu. Sans succès : les députés ont tenu bon et conservé cet article.
Par ailleurs, alors que Béatrice Bellay avait rappelé la “lutte (…) juste” en Martinique, reconnaissant des “moyens de lutte (…) parfois contestables”, Manuel Valls a, lui, tenu longuement un discours d’ordre, appelant “les élus à ne céder à aucune complaisance face à cette violence”.
Les quatre articles de la proposition de loi sur la vie chère ont été adoptés par les députés le jeudi (23 janvier 2025). Outre la mise en œuvre d’un bouclier qualité prix plus exigeant, le texte encadre les parts de marché des distributeurs.
L’article 1 a été adopté à une très grosse majorité. Ce premier article veut mettre en place un nouveau bouclier qualité-prix, si l’on peut dire, plus effectif et très contrôlé, avec des tarifs équivalents à ceux pratiqués dans l’Hexagone.
Disposition à caractère assimilationniste. Car comment ramener les prix au niveau français sans une prise en charge budgétaire des frais d’approche par l’État ?
Selon France-Antilles des 24-25-26/01/2025, Manuel Valls a observé que “en alignant les prix du bouclier qualité-prix (BQP) sur la métropole, on risque de sortir d’une économie concurrentielle qui correspond à nos valeurs”. Le gouvernement a également proposé de supprimer le quatrième et dernier article de la proposition de loi qui interdit purement et simplement à un groupe de distribution de posséder plus de 25 % de part de marché.
Un bouclier qualité-prix qui concerne donc les biens de grande consommation. Les députés ont aussi acté la possibilité de l’élargir à d’autres produits des secteurs de la communication, de l’électroménager ou des pièces détachées automobiles par exemple.
En ce qui concerne les produits du panier eux-mêmes, la loi demande à ce que leur disponibilité soit garantie. Obligation est aussi faite de les rassembler dans des espaces spécifiques dans chaque catégorie de rayon du magasin.
Un dispositif de comparateur de prix est aussi mis en place et les moyens des observatoires des prix, des marges des revenus sont aussi renforcés pour contrôler l’effectivité du dispositif. Les associations de consommateurs pourront aussi participer aux négociations et enfin, les entreprises qui sortent de l’accord bouclier qualité-prix seront affichées.
Surfaces commerciales encadrées
Le texte prévoit le renforcement de l’effectivité de l’obligation de publication des comptes des sociétés commerciales, en rendant plus dissuasives les sanctions en cas de non-respect dans les outre-mer.
L’article 3 abaisse les seuils de notification des concentrations dans les outre-mer. Le seuil de surface de vente au delà duquel un projet est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale est fixé, par dérogation, de 300 mètres carrés ainsi qu’à 25 % de la surface totale sur l’ensemble d’un département d’outre-mer.
Enfin, l’article 4, introduit en commission, considère comme abus de position dominante le fait pour un groupe de distribution de détenir plus de 25 % de part de marché dans les départements et collectivités d’outre-mer. Les groupes concernés ont un an à compter de la promulgation de la loi pour se conformer à cette directive.
Le seul groupe à ne pas avoir joué la carte du consensus est celui du Rassemblement national (RN), rapporte le quotidien France-Antilles cité. “Nous ne voulons pas être un facteur de blocage, c’est pourquoi nous ne voterons pas contre, a expliqué le député RN de la Réunion Joseph Rivière. Pour nous, le seul moyen de lutter contre la vie chère dans l’Outre-mer consiste en notre réforme de l’octroi de mer”. Le Rassemblement national avait pour ambition de supprimer l’octroi de mer et de compenser les pertes pour les collectivités locales “à l’euro près” par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement.
Et maintenant : Passage au sénat
La proposition de loi socialiste défendue par la députée martiniquaise Béatrice Bellay doit maintenant être envoyée au Sénat avant d’entrer en vigueur. Mais les obstacles sont nombreux. L’avenir du texte est entre les mains des sénateurs.
Une question se pose désormais : et maintenant ?
Le bouclier qualité-prix (BQP) va-t-il être révisé dans les prochains jours, permettant aux Ultramarins d’acheter leurs aliments moins chers ? Va-t-il aussi concerner la téléphonie, la parapharmacie ou encore les pièces détachées dans le secteur automobile ? Les grands groupes qui ne publient pas leurs comptes vont-ils voir leurs sanctions renforcées ?
Avant d’entrer en vigueur, les mesures adoptées jeudi 23 janvier au Palais Bourbon devront d’abord passer entre les mains des sénateurs. Et, pour cela, il faudra que le Sénat adopte la même version du texte que celui défendu par Béatrice Bellay. Ce qui est loin d’être acquis. L’avenir de la loi contre la vie chère en Outre-mer est donc incertain.
Quand ?
Première incertitude : quand le Sénat se saisira-t-il du texte ? Contrairement à l’Assemblée nationale, où elles durent toute une journée, les niches parlementaires des groupes politiques sont moins denses au Sénat, car elles s’étalent sur plusieurs demi-journées.
Les prochaines fois que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER, composé de membres du Parti socialiste) pourra décider de l’ordre du jour au Sénat, ce sera l’après-midi du mercredi 5 mars, après la séance de questions au gouvernement, puis une nouvelle fois l’après-midi du jeudi 20 mars, celui du 15 mai, ainsi que la matinée du 12 juin. Soit quatre demi-journées avant la fin de la session parlementaire.
Mais rien ne dit que la proposition de loi contre la vie chère votée par l’Assemblée nationale jeudi 23 janvier y figurera. D’abord parce que les sénateurs ont à cœur, eux aussi, de défendre leurs propres textes. D’ailleurs, l’ancien ministre des Outre-mer et actuel représentant de la Guadeloupe, Victorin Lurel, a déposé en décembre sa proposition visant à renforcer le droit de la concurrence et de la régulation économique en Outre-mer et compte bien la défendre prochainement. Opposition avec Béatrice Bellay ?
Appel aux sénateurs
Le problème est que, si le Sénat ne s’empare pas de la loi défendue par Béatrice Bellay, le texte pourrait bien tomber dans les oubliettes parlementaires. C’est ce qui est arrivé au texte du député de la Guadeloupe Élie Califer, lui aussi socialiste, qui avait fait voter à l’Assemblée une loi pour la reconnaissance du rôle de l’État dans le scandale du chlordécone aux Antilles en février 2024.
M.B d’après Gaël De Santis
L’Humanité 23 janvier 2025,
RCI Web et Aline Druelle 23/01/2025
et Quentin Menu Martinique la 1ère – le 24 janvier 2025