Le 24 juin 2022, le verdict est tombé pour Jean-Louis Fonsat. L’ancien directeur de l’école privée de l’Association Martiniquaise d’Éducation Populaire (AMEP) à Redoute avait été condamné à 1 an d’emprisonnement avec sursis, à une amende de 100 000 euros et à 5 ans de privation de son droit d’éligibilité pour détournement de fonds publics. Après avoir fait appel, Jean-Louis Fonsat a écopé d’une peine plus légère. Il a cependant été condamné à un an de prison avec sursis et 50 000€ d’amende. Chef de cet établissement de 1972 à 2016, fervent militant du MIM, Jean-Louis Fonsat est revenu sur la création de l’AMEP et en quoi celle-ci a dérangé le pouvoir colonial :
Jean-Philipp MERT : Jean-Louis Fonsat, dans quelles conditions l’AMEP a-t-elle été mise en place ?
Jean-Louis Fonsat : “L’AMEP a été créée par Henri Bernard, un professeur de philosophie guadeloupéen. Il y avait à l’époque beaucoup de jeunes qui n’avaient pas d’écoles. En Guadeloupe, il y avait l’Association Guadeloupéenne d’éducation populaire (AGEP), avec de nouvelles méthodes comme la langue créole comme support et qui obtenaient d’excellents résultats. L’établissement a été créé sur ce modèle, mais le préfet de l’époque Jean Terrade avait interdit l’AMEP. Il s’appuyait sur un texte de 1850, qui s’appelle la loi Falloux et qui considérait l’établissement comme étant comme contraire aux bonnes mœurs publiques. Contraire aux bonnes mœurs publiques, car nous utilisions le créole et parce que nous étions une école de cadres révolutionnaires. Effectivement, il y avait Henri Bernard, Alex Ferdinant, moi Fonsat, Edouard de Lépine… nous étions tous des militants. Pour le préfet, c’était une école de cadres révolutionnaires. Alors que notre objectif, c’était de former les jeunes.
Nous vivions à l’époque de ce que payaient les parents, mais on avait gagné le procès contre le conseil supérieur de l’Académie nous permettant d’ouvrir l’école. À ce moment, les parents ont commencé à toucher des allocations. On a déménagé à Redoute. Je suis nommé directeur avec Michel Féliot comme directeur financier.
Il fallait répondre aux besoins de la nouvelle génération d’élèves. Nous sommes donc partis en France pour obtenir davantage de moyens. Nous avons vu l’UNESCO, qui nous a répondu que la Martinique n’est pas indépendante, qu’il fallait voir ça avec la France. Ensuite, on va au ministère des DOM-TOM. Nous sommes tombés sur Aimé Césaire à la sortie du Palais Bourbon. Il nous a demandé ce que nous faisions là. On lui a expliqué que comme la gauche est au pouvoir, nous sommes venus voir s’il y a une solution. Il a pris contact avec le gouvernement. Nous avons eu un entretien avec Alain Savary, ancien ministre de l’Éducation Nationale. Il nous a proposé de signer un contrat avec ce ministère. Les collègues étaient partagés, car revenait à se lier avec l’État français. En septembre 1983, l’AMEP devient un établissement sous contrat. C’est un soulagement extraordinaire. Étant sous contrat, nous avons pu agrandir le site. Entre 1983 et 1989, nous sommes passés de 200 élèves à 600 élèves. Entre temps, nous avons construit de nouveaux bâtiments et un amphithéâtre. En 1986, c’est la décentralisation. La Région prend en charge la formation professionnelle et lance des appels à projets de formations. Nous avons choisi la création de BTS qui n’existaient pas dans l’académie. Nous avons eu des classes de 45 élèves ! Nous avons embauché des enseignants. Nous avons aussi développé la formation générale.”
Une école créée grâce à l’entraide ?

Jean-Louis Fonsat : “Nous avons développé tous les baccalauréats qui n’existaient pas et pour lesquels il y avait une forte demande. Nous avons donc récupéré des collègues qu’on connaissait dans les lycées publics pour nous aider à mettre en place tout cela. Des professeurs sont venus nous aider, nous n’avions pas d’argent. C’est comme ça que nous nous sommes développés, grâce à l’entraide, le partage. Pour les BTS, nous avions trouvé de jeunes Martiniquais qui avaient des formations que nous ne connaissions pas. Nous avons consacré trois bâtiments aux BTS. Nous faisons beaucoup de formation professionnelle et les excédents étaient réinvestis dans les constructions. Grâce à des camarades, nous avons appris à lire des plans, à organiser la construction et nous avons embauché des ouvriers et nous avons construit nous-mêmes. On a lancé des appels, les parents d’élèves nous ont aidés, la ville de Fort-de-France nous a prêté des engins de terrassements, de même que les villes de Rivière-Pilote, du Robert, du Vauclin, du Marin…”
“En 1992, on achète un terrain pour ouvrir une cafétaria pour les élèves. En 97, on rachète l’école primaire « La Ruche » qui fermait et en 99-2000, on a construit un hall des sports pour les élèves. On a fait tous ces investissements uniquement avec des surplus. Toujours avec nos excédents d’activités. On allait à la banque faire des prêts en fonction des besoins. […] On a eu de l’aide de partout ! Des communes, de camarades de classes…”
J-PM : Revenons sur cette condamnation. Que s’est-il passé ?
Jean-Louis Fonsat : “En 2015, l’AMEP sort 26ᵉ sur 100 des
meilleurs établissements de France. Donc voilà une école qui était interdite et qui sort 26ᵉ. Score qu’aucun établissement privé n’avait réalisé dans toute l’histoire de la Martinique. Jusqu’à présent, aucun autre n’a été classé à ce niveau-là. En 2016, je pars à la retraite à la suite d’une grève. Évidemment, les ennemis se réveillent, car ils ne sont jamais loin. Les syndicats déclenchent une grève et on me met en cause. Le président du conseil d’administration porte plainte contre moi pour deux raisons : Détournement de fonds publics et contre mon salaire. J’ai simplement utilisé les fonds du CFA, pour faire un emprunt de 300 000€ pour construire des salles de classes et des jardins. Puis pour les salaires, il me demande combien je touche et me rappelle que je gère 4 établissements. Et il me dit “Je te donne tant en plus par mois”. Je lui réponds que je pars de toute façon. Il me convainc de m’aligner sur les salaires du public. J’ai été condamné pour avoir utilisé des fonds publics, non pas pour construire au CFA, mais pour construire à Redoute et au COPES. Le juge me dit que j’ai assez d’expérience pour savoir que les fonds publics ne doivent être utilisés que pour l’objet de l’emprunt. Il m’explique que le CFA reçoit des fonds publics de la CTM et ces fonds sont dédiés à la formation. Le CFA reçoit des fonds publics par nombre de stagiaires, mais aussi avec la taxe d’apprentissage et pour les apprentis. Je lui ai expliqué que les fonds sont consolidés, car c’est une seule association qui gère cela. Le juge insiste et je lui rappelle que si pendant 3 ans, les fonds ne sont pas mobilisés, ils deviennent privés.
Pour mon salaire, il indique qu’il n’a pas été validé par le Conseil d’Administration… Alors que j’ai vu cela avec le président du CA. Si lui, il n’a pas vu ça avec le CA, c’est son affaire.

Je n’ai pas été condamné pour enrichissement personnel, mais pour avoir utilisé les fonds publics de la région pour emprunter, j’ai même fait un plan de remboursement.”
“La région n’a même pas réclamé l’argent, elle m’a même accordé d’avantage pour conclure les travaux. J’ai toujours utilisé les surplus. Chaque année, je renvoie à la Chambre Régionale des Comptes, mais aussi à la Région, le bilan. Ils ont vu les surplus, ils n’ont jamais rien réclamé.
J’ai beaucoup réfléchi sur la décision du tribunal. Les juges me rappelaient souvent que j’étais assez ancien pour savoir cela. Les fondateurs de l’AMEP étaient tous des patriotes, des militants. C’est Monsieur Césaire qui nous a donné des bâtiments que nous avons reconstruits. Aussi, quand un Martiniquais décide de construire son école pour les jeunes Martiniquais et qu’elle a du succès, c’est un défi que nous avons lancé et que nous avons gagné.
! En écoutant le discours du juge, il me parlait de mon expérience. J’ai compris après, car ils ont lu l’histoire de l’AMEP et en connaissent les fondateurs… C’était un noyau patriotique qui s’est battu pour l’AMEP. Parmi les enseignants qui nous ont aidés, il y en avait beaucoup du SNES. Les juges m’ont sanctionné par rapport à l’histoire. J’ai gardé mon sentiment patriotique, même si j’étais sous contrat avec l’État qui paye les enseignants…”
“Il s’agit d’une condamnation politique. Voilà un établissement qui était interdit en 70, et en 2015, il est 1ᵉʳ établissement des Antilles Guyane et 26ᵉ sur 100 en France. En 70, ils n’ont pas réussi à nous interdire. Vu que je suis celui qui a porté le projet, on m’a puni pour cela. C’est comme ainsi que j’ai vécu cela. C’est un défi que nous avons lancé à l’administration coloniale, un défi politique et culturel. C’est ça qu’ils ont sanctionné.”
J-L Foncat fier de l’accomplissement de cette mission “Mon plus grand ressentiment aujourd’hui, ce n’est pas d’avoir à payer 50 000€. Ma plus grande fierté, c’est d’avoir montré à des Martiniquais que même-ci, nous sommes un département sous tutelle française, nous sommes capables de construire, de produire.
L’AMEP c’est le résultat d’une histoire, ce que j’appelle la longue marche de l’AMEP, qui est partie de loin, qui était interdite. Notre fierté à nous, Michel Féliot qui est décédé et moi, toutes ces équipes pédagogiques qui ont travaillé avec nous, c’est de dire que nous avons réussi à créer cette école. Si nous avons une vision unique pour notre pays, et que nous sommes capables de faire ce que l’AMEP a fait !”
Propos recueillis par Jean-Philip MERT