
Éric Lombard et Sébastien Lecornu, respectivement ministre de lʼÉconomie et ministre des Armées, ont reçu le jeudi 20 mars à Bercy des entreprises du complexe militaro-industriel et différents financeurs – banques, fonds dʼinvestissement, assureurs, Caisse des dépôts, BPIFrance. © Ludovic MARIN / AFP
L’exécutif s’apprête à développer de nouveaux produits bancaires et assurantiels pour réorienter une partie des 6 400 milliards d’euros d’épargne des citoyens vers les entreprises de la défense. Ce que la gauche dénonce en raison d’un risque de tarissement du financement du logement social.
Et si dormait un trésor pour la guerre ? Au vu des bouleversements géopolitiques sur le conflit russo-ukrainien, voilà une question qui anime la réflexion du gouvernement français à la recherche de financement massif pour la base industrielle et technologique de défense. “Il faut augmenter les cadences et les capacités de production”, martèle Matignon, qui souhaite que le budget annuel double d’ici à 2030, passant de 50 milliards d’euros à 100 milliards. Depuis deux semaines au moins, les ministres se succèdent de plateau en plateau pour appeler à la mobilisation financière, publique comme privée. Et surtout de l’épargne.
Le jeudi 20 mars, Éric Lombard et Sébastien Lecornu, respectivement ministre de l’Économie et ministre des Armées, devaient recevoir à Bercy des entreprises du complexe militaro-industriel et différents financeurs – banques, fonds d’investissement, assureurs, Caisse des dépôts, BPIFrance. L’objectif ? “Renforcer le dialogue”, assure-t-on au gouvernement. Si plusieurs annonces sont attendues, l’une va concerner la mobilisation de l’épargne des Français. “Puisqu’il n’est pas question d’augmenter les impôts, il faudra bien trouver des sources de financement”, argumente le député Modem Erwan Balanant.
D’un côté, vous avez des Français qui veulent investir dans leurs entreprises de défense, soit par intérêt, soit par patriotisme, écrivait, dimanche, Éric Lombard sur LinkedIn. De l’autre, des entreprises françaises de la défense qui ont besoin de capitaux pour (…) répondre à leur carnet de commandes.” C’est pourquoi le gouvernement lorgne les 6 400 milliards d’euros cumulés sur les livrets, assurances-vie et autres placements. Le chiffre fourni par la Banque de France donne le tournis à la Macronie, qui voudrait réorienter cette manne. “Se dire que cet argent va permettre de réarmer le pays, je trouve que c’est intéressant”, a lancé avec gourmandise Sébastien Lecornu.
« L’État doit payer, pas l’épargne des Français »
L’exécutif devrait annoncer sa volonté de développer de nouveaux produits, pour “offrir la possibilité aux Français, s’ils le souhaitent, de placer leur épargne”. Si la création d’un “livret défense” sur le modèle des Livrets A et développement durable pilotés par la Caisse des dépôts a un temps été évoqué, l’entourage d’Éric Lombard cite plutôt des produits de type assurance- vie. “Si vous garantissez demain des taux d’intérêt très attractifs sur la défense à 6 ou 10 %, il y a un risque de dépouiller les Livrets A et développement durable. Ce qui va déséquilibrer le logement social et les politiques environnementales”, craint un conseiller en patrimoine d’une grande banque.
“Mais pourquoi y a-t-il autant d’épargne immobilisée ? fait mine de questionner la députée PS Anna Pic. Parce que les Français ont peur de la destruction de leur modèle social, que le gouvernement veut transformer.” La socialiste n’est pas opposée à la création d’un “livret défense”, par ailleurs proposé par les sénateurs de son parti, à condition qu’il y ait “plus de débat, plus de démocratie, plus de transparence” sur la situation internationale : “On ne peut pas dire aux Français” Confiez-nous votre épargne et nous saurons quoi en faire”. Ils doivent être sûrs de la manière dont elle sera utilisée, car les armes ce n’est pas rien.”
Les autres formations de gauche sont beaucoup plus réservées sur cette mobilisation de l’épargne, levier que le gouvernement avait jusqu’ici toujours refusé d’utiliser pour financer d’autres secteurs. Par exemple pour “renforcer la souveraineté” en rachetant la dette française dont plus de la moitié est détenue à l’étranger, comme le propose l’écologiste Sandrine Rousseau. Pour elle, “c’est à l’Europe de lever le crédit et de financer sur ses fonds propres” un potentiel effort de guerre. “Pour le régalien, c’est l’État qui doit payer et pas l’épargne des Français”, abonde un parlementaire socialiste.
“Dans ma circonscription, les gens se demandent où le gouvernement va trouver les milliards qu’il cherche pour la défense, raconte le député PCF Jean-Paul Lecoq. Ils ne veulent pas que ce soit dans la vie sociale, la santé, la sécurité ou l’éducation.” Plaidant pour que la Commission européenne libère davantage de crédits, le communiste veut que “l’épargne des Français reste là où elle est utile, c’est-à-dire pour le logement social”. Aurélie Trouvé, présidente insoumise de la commission des Affaires économiques, craint aussi que cela vire à la “guerre sociale” : “Dans ce moment historique, on doit faire des choix. L’urgence est de fortifier l’unité du peuple. Il faut utiliser ces fonds pour le logement social.”
Emilio Meslet
(L’Humanité du 19 mars 2025)