
Le partenariat signé entre Kiev et Washington ce 30 avril donne une longueur d’avance au capitalisme états-unien dans l’accès aux ressources stratégiques ukrainiennes, sans que la première puissance ne soit pour autant liée par des garanties de sécurité face à la Russie.
En s’assurant l’accès aux terres rares ukrainiennes, Donald Trump est parvenu à ses fins. Avant même la conclusion de la guerre, et l’amorce de reconstruction, le dirigeant se garantit déjà une bonne position dans la course aux ressources indispensables aux chaînes de production états-unienne dans les domaines clés des nouvelles technologies, des systèmes de défense avancés, de l’aérospatial, des énergies renouvelables et de l’industrie manufacturière. En concluant ce 30 avril un vaste accord économique sur les terres rares avec l’Ukraine, il devance ainsi l’Union européenne et… son nouvel allié russe.
Cette mainmise convoitée depuis plusieurs mois par le locataire de la Maison-Blanche lui permet également de sortir de sa dépendance à la Chine. La seconde puissance mondiale contrôle en effet 80 % du marché mondial des terres rares et l’Ukraine possède parmi les plus importantes réserves européennes de lithium et de titane. Le pays regorge également de cobalt et de nickel. Il s’agit donc d’un intérêt de sécurité nationale et d’une course de vitesse pour Washington quand 53 % des ressources minérales de l’Ukraine se trouvent dans quatre régions de l’Est contrôlées par Moscou.
En tendant la main au président russe, Vladimir Poutine, Donald Trump a ainsi exercé une pression suffisante sur Volodymyr Zelensky pour le contraindre à un accord pour bénéficier d’un accès préférentiel aux ressources ukrainiennes. D’aucuns considèrent d’ailleurs que ce partenariat constitue également une victoire pour le président ukrainien. Ce dernier avait en effet rejeté une première proposition, estimant qu’elle aurait hypothéqué l’héritage géologique de son pays. Cette fois, le texte prévoit que la propriété et le contrôle de l’extraction restent à l’Ukraine. “Toutes les ressources situées sur notre territoire et dans nos eaux territoriales appartiennent à l’Ukraine. C’est l’État ukrainien qui détermine où et quoi extraire”, a appuyé Ioulia Svyrydenko, la ministre de l’Économie.
Les États-Unis d’abord, l’Ukraine ensuite
Un bon “deal” également pour Donald Trump qui voit là une façon de récupérer les sommes versées par son pays en soutien à l’effort de guerre ukrainien qui a tant fait grincer de dents côté républicain au Congrès. Son prédécesseur Joe Biden “leur a donné 350 milliards en aide et en équipement (en réalité 120 milliards depuis 2022 – NDLR)” et “nous n’avons rien eu en retour”, fait-il valoir à destination de son électorat. Et de vanter : “Ils ont des super terres rares”, “on a conclu un accord sur les minerais qui en théorie va nous rapporter bien plus que 350 milliards”. “L’accord ne mentionne aucune dette de l’Ukraine envers les États-Unis”, a insisté Ioulia Svyrydenko pour mieux prévenir les critiques. Il s’agit en effet d’un point central qui aurait un peu plus obéré l’avenir du pays.
“America first”, les Ukrainiens… après. Car si l’accord prévoit la création d’un fonds d’investissement commun dédié à la reconstruction du pays en guerre, les États-Unis s’assurent là aussi une intéressante mainmise en contrepartie d’une vague promesse d’ “une nouvelle assistance, par exemple des systèmes de défense aériens pour l’Ukraine”, selon Ioulia Svyrydenko. Ce fonds commun sera chargé d’investir “dans des projets miniers, pétroliers et gaziers, ainsi que dans des infrastructures ou des processus connexes”, précise encore la ministre ukrainienne. Pendant les dix premières années, les bénéfices seront dirigés vers “la reconstruction” et “de nouveaux projets”. Au terme de la guerre, l’Ukraine pourrait à ce titre devenir l’une des bases industrielles de défense les plus compétitives d’Europe, adossée au standard de l’Otan.
Terres rares, pétrole, gaz… le tableau semble complet. Et ce d’autant plus que l’accord, consulté par le Washington Post, ne fait nullement mention de garanties de sécurité états-uniennes face à la Russie, pourtant requises par le président Zelensky à maintes reprises au cours des négociations. Donald Trump n’a pourtant jamais dévié sur ce sujet : c’est aux Européens d’assurer le maintien de la paix dans le cadre d’un règlement du conflit avec la Russie. “Nous allons demander à l’Europe de le faire, parce que, vous savez, l’Europe est leur voisin immédiat, mais nous allons nous assurer que tout se passe bien”, a déjà prévenu Donald Trump, confirmant son désengagement du continent pour se consacrer entièrement à la compétition avec la Chine. Autre avantage pour Donald Trump : l’accord signé avec l’Ukraine hypothèque un peu plus les partenariats passés entre Kiev et Pékin dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie, suspendues par la guerre.
Lina Sankari (L’Humanité du 1er mai 2025)