Les bidonvilles sont reconstruits faute dʼautres abris
Lors de son déplacement à Mayotte le lundi 30 décembre, le premier ministre François Bayrou a annoncé une longue liste de mesures censées répondre à l’état d’urgence dans laquelle se trouve l’île après le passage du cyclone Chido. D’autres mesures ont été annoncées quelques jours plus tard lors de la visite du ministre des Outremers Manuel Walls. Mais la plupart des Mahorais restent sceptiques. Ils ont en mémoire les multiples promesses non tenues faites par les gouvernements successifs.
Le flot de mesures annoncées par Bayrou seront-elles effectivement mises en œuvre ?
Cette fois, pas de grands discours. C’est par la déclamation, au terme de sa visite en forme d’une simple liste de projets égrainée devant les élu·es de Mayotte que François Bayrou a conclu sa visite. Une sobriété probablement calculée, alors que la colère est grande sur l’île, seize jours après le passage dévastateur du cyclone Chido, et que la défaillance de l’État à tous les niveaux est pointée du doigt. Durant les quelques heures qu’a duré sa visite, le premier ministre s’était auparavant rendu à l’usine de dessalement de Petite-Terre, puis dans un collège de Mamoudzou, à l’hôpital de campagne et enfin dans les locaux du rectorat. Mais il n’est allé ni au-delà du chef-lieu, ni dans un bidonville sinistré. Devant les élus du territoire, il a annoncé plusieurs dizaines de dispositions censées répondre tout à la fois à l’urgence de la situation et à aux problématiques les plus vitales. Baptisé “Mayotte debout”, ce plan, a-t-il précisé, a “une seule ligne directrice” : “Des décisions concrètes et précises, des engagements concrets et précis.” Mais certains y voient surtout des promesses de Gascon. Au chapitre des urgences, faites par François Bayrou figurent la fourniture d’électricité dont la moitié de la population est toujours privée et l’eau potable dont la production est encore très largement insuffisante. Elle devrait augmenter avec l’appui de l’armée et la construction d’une deuxième usine de dessalement. Mais pour tous ces projets, Bayrou n’a annoncé aucun financement, ni aucun échéancier. Il a en outre promis le rétablissement du réseau téléphonique sur tout le territoire d’ici à juin prochain ainsi que la mise hors d’eau des maisons et des bâtiments publics par le biais de livraisons de 140 tonnes de bâches financées par des prêts garantis par l’État pour les particuliers.
Le patron du MoDem a également annoncé la mobilisation de la réserve sanitaire de Santé publique France et des mesures visant à rendre plus attractif le territoire, sans en donner les détails. Mayotte manque cruellement de médecins, de sages-femmes, de pédiatres ou encore de manipulateurs radio. Les responsables du centre hospitalier de Mayotte s’arrachent les cheveux pour les faire venir, multipliant les primes et les avantages qui se rapprochent de ce qui est proposé aux expatrié·es. Sans grand succès La rentrée scolaire à partir du 13 janvier, une annonce jugée irréaliste qui soulève la colère des enseignants. Le premier ministre, qui était accompagné, entre autres, par la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a en outre annoncé un “plan écoles”. “La rentrée ne pouvant se faire dans des conditions normales, elle aura lieu selon des modalités adaptées, établissement par établissement, à partir du 13 janvier”, a-t-il indiqué. C’est-à-dire à la date prévue avant le cyclone. Une annonce qui semble irréaliste aux yeux des organisations syndicales dont l’une d’elles rappelle que la moitié des établissements scolaires (220 écoles, 20 collèges et 10 lycées) ne sont pas en état de recevoir des enfants, et qu’avant même Chido, il manquait 1 200 salles de classe pour répondre aux besoins. Nombre d’écoles fonctionnent sur le système de la rotation (des enfants ont cours le matin, et d’autres l’après-midi).

François Bayrou avec le préfet de Mayotte François-Xavier Bieuville
Et la plupart des collèges et des lycées sont surchargés.
Avant Noël, les services de l’Éducation nationale précisaient que 40 % des bâtiments avaient été endommagés par le cyclone. Mais il ne s’agissait que d’une estimation, et celle-ci est probablement en deçà de la réalité, estime ce même syndicaliste. Comment faire classe dans ces conditions ? Pas sûr, alors que des milliers de maisons ont perdu leur toit.
Plusieurs collèges et lycées ont également été endommagés. Certains ont été pillés, ou simplement détériorés. François Bayrou a annoncé leur sécurisation, mais pour les enseignants, il est maintenant trop tard. Certains bâtiments ont été démolis pour servir de matériaux de réparation des cases endommagées. Et puis comment rétablir les établissements scolaires dans leur fonction alors qu’ils sont encore occupés par des milliers de familles qui n’ont nulle part aller ?
Enfin, il reste un obstacle de taille à la réouverture des écoles : l’absence des enseignants, notamment dans le second degré où l’on compte une majorité de “métropolitain·es” n’ayant pas d’attaches à Mayotte. Beaucoup ont déjà quitté l’île, et elles et ils sont encore nombreux à attendre un avion. “On a tout perdu, nos affaires, notre maison. Pourquoi voulez-vous qu’on reste ?”, témoigne un professeur de mathématiques qui a requis l’anonymat. Pour faire face à cette future pénurie d’enseignants, François Bayrou a indiqué qu’il serait fait appel “à des étudiants, des retraités, des enseignants volontaires”.
Mais qui voudra venir, alors que l’État avait déjà du mal à recruter et que près de six enseignants sur dix sont, dans le second degré, des contractuels ? Et surtout, où seront logé.es les volontaires ? “De toute évidence, ce plan a été pensé dans l’urgence, sans prendre en compte les réalités du terrain”, estime un fonctionnaire. Un exemple : Bayrou a annoncé vouloir “interdire et empêcher la reconstruction des bidonvilles”. Or ceux-ci ont déjà en partie été reconstitués : leurs habitant·es n’ont pas attendu l’autorisation de l’État pour se fabriquer un abri de fortune.
Un autre fonctionnaire d’une collectivité locale s’interroge : “Il n’y a pas de réel échéancier ni de modalités d’évaluation prévues. Quelles sont les garanties d’une véritable mise en œuvre ?”. Comme les Antillais, les Mahorais sont habitués aux plans de développement annoncés par les responsables gouvernementaux français. Il faut espérer que cette fois le plan “Mayotte debout” ne soit pas abandonné au profit d’autres priorités.
G.E