Gaza : comment la BNP Paribas a financé la guerre d’Israël à hauteur de 2 milliards de dollars

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Des documents de l’autorité américaine des marchés financiers consultés par l’Humanité révèlent que la banque française BNP Paribas a participé à une levée de fonds record réalisée par Tel-Aviv cinq mois après le début de la guerre lancée contre Gaza.

L’information semble être passée inaperçue. Le 5 mars, l’autorité américaine des marchés financiers (SEC) a rendu publics les détails d’une levée de fonds réalisée par l’État israélien. Pour sa première opération financière depuis le début de la guerre, Israël a pu émettre pour 8 milliards de dollars d’obligations avec le soutien de quatre institutions chargées à parts égales de gérer l’émission de titres : les banques d’investissement Goldman Sachs et Bank of America Securities, l’allemande Deutsche Bank et la française BNP Paribas.

Selon les documents que l’Humanité a pu consulter, la BNP s’est engagée à hauteur de 2 milliards de dollars pour acheter des obligations à échéance 2029 (500 millions de dollars), à échéance 2034 (750 millions de dollars) et à échéance 2054 (750 millions de dollars) “dans les termes et conditions de l’accord” publié par la SEC.

Financer la guerre à Gaza

Confirmée par l’agence Reuters, l’opération aurait rapporté des liquidités estimées à plus de 7,8 milliards de dollars à Israël à un moment où, après cinq mois d’offensive à Gaza et en Cisjordanie, le gouvernement dirigé par Benyamin Nétanyahou “faisait face à des besoins de fonds supplémentaires pour couvrir un déficit budgétaire croissant dû à la guerre”, selon le ministère israélien des Finances.

À cette date, le nombre de morts dans la bande de Gaza dépassait déjà 30 000. Avec 85 % de la population déplacée dans l’enclave, des bombardements touchant principalement des civils et des restrictions drastiques à l’accès humanitaire, la description que diverses agences des Nations unies faisaient de la bande de Gaza ces jours-là était dantesque. “Carnage” et “degré sans précédent de meurtres et de mutilations” de civils… Sur fond de violation du droit humanitaire et d’irrespect des droits de l’homme, la Cour internationale de Justice (CIJ) avait reconnu un “risque sérieux de génocide” dès fin janvier.

Rien de tout cela n’a empêché la BNP de soutenir Israël à hauteur de 2 milliards de dollars, participant à conforter son gouvernement à un moment où celui-ci devait prouver sa capacité à obtenir des ressources financières sur les marchés. En janvier 2023, la BNP soulignait dans une note d’analyse des “performances israéliennes particulièrement bonnes en 2022 et supérieures à la moyenne des autres pays de l’OCDE”.

Depuis le lancement de l’opération militaire, le PIB a souffert une contraction de 19,4 % au dernier trimestre 2023 et la Banque centrale israélienne estimait, fin novembre, que la guerre allait coûter environ 53 milliards de dollars d’ici à 2025. Le déficit budgétaire, prévu par la BNP à 2,5 % du PIB au terme de 2023, a finalement dépassé les 4 % et est attendu à 7,5 % en 2024, tandis que les projections du FMI calculent une dette publique dépassant les 67 % du PIB, au lieu des 60 % escomptés. Un mois avant la levée de fonds, l’agence Moody’s avait dégradé la note d’Israël, l’abaissant d’un cran (à A2), “avec perspective négative”.

“La guerre à Gaza pourrait continuer dʼavoir un effet négatif sur lʼéconomie”, signale la documentation de la SEC, tout en prévenant les investisseurs de “facteurs de risque” non négligeables. Finances de l’État mises à dure épreuve, environnement politique “volatil”, “instabilité régionale” avec des répercussions sur la situation sécuritaire d’Israël qui pourraient affecter de nouveau sa note, ainsi que sa capacité à “accéder au crédit sur les marchés internationaux de capitaux” à des taux favorables… donc à remplir ses obligations en matière de remboursement d’emprunts…

“Face à une guerre au coût exorbitant et qui n’est pas près de s’arrêter, le déficit budgétaire va continuer de se creuser de manière incontrôlée”, juge Efraim Davidi. “Officiellement, le Trésor estime que le déficit augmentera à plus de 7 %, mais il pourrait en fait doubler dès cette année”, évalue ce spécialiste de l’histoire économique et sociale de l’université de Tel-Aviv.

Le risque d’être accusé de complicité de génocide

Dans cette situation pour le moins instable, peu de pays disposent de la capacité à rassurer des investisseurs étrangers. Pourtant, le livre d’ordres (la demande) pour l’offre lancée le 5 mars a atteint les 38 milliards de dollars, soit un montant jamais vu pour une émission de dette internationale israélienne. Quatre cents investisseurs de 36 pays y auraient participé, d’après le ministère israélien des Finances.

“Les quatre banques qui font office de coresponsables de l’émission apportent un soutien crucial pour que l’État émetteur atteigne ses objectifs de financement, explique un spécialiste du secteur sous couvert d’anonymat. Ces institutions sont conscientes des risques mais cela ne les freine pas. On peut se demander si leur position dans ce dossier est purement économique ou si elle reflète un soutien politique”.

Et de conclure : “Quel est le message envoyé ? En aidant à financer un gouvernement qui ignore la CIJ, ces investisseurs ne pourraient-ils pas se voir accusés de contrevenir aux mesures provisoires que cette cour a dictées, voire être considérés comme complices du génocide en cours ?”

Présente en Israël depuis 1998, la BNP y a accéléré son développement en 2006. Ses activités ont déjà été la cible d’organisations dénonçant de graves manquements en matière de respect du droit international. Notamment à cause de la contribution de la banque française “au financement d’entreprises qui participent au développement des colonies dans les territoires palestiniens occupés”.

Avec sa participation à la levée de fonds, la BNP n’a-t-elle pas encouragé le gouvernement de Nétanyahou dans sa trajectoire meurtrière ? N’y avait-il aucune contradiction avec le Code de conduite du groupe, lequel certifie que la banque “ne souhaite pas participer à une quelconque violation des droits de l’homme par l’intermédiaire de ses activités d’investissement et de financement”.

Une chose paraît claire : que ce soit à travers le financement d’entreprises qui contribuent au renforcement du régime d’occupation et d’apartheid imposé au peuple palestinien, ou bien pour financer le budget de l’État sioniste, la BNP a jusqu’alors répondu présent.

Interrogé sur la participation de la BNP à la levée de fonds, son service de presse répond :

“BNP Paribas est un acteur bancaire dans plusieurs pays du Moyen-Orient et du Golfe, et peut-être amené à participer comme intermédiaire à des émissions souveraines pour nombre d’entre eux. En ce qui concerne l’accès aux financements par les États souverains, le groupe tient à rappeler qu’il applique et respecte scrupuleusement les lois, règlements et conventions qui lui sont applicables. Nous ne pouvons commenter spécifiquement les opérations liées aux dettes souveraines des États. BNP Paribas partage les préoccupations face à la situation au Proche-Orient et à l’impact sur les populations civiles entraînées dans ces événements tragiques”.

Luis Reygada (L’Humanité du 25 juin 2024)

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