Débat :  Qu’en est-il de la critique de J-M NOL de l’analyse de Mireille Pierre Louis ?

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Jean-Marie Nol

L’économiste guadeloupéen Jean-Marie Nol a produit le 13/12/2025 une critique de l’étude de l’agroéconomiste Mireille Pierre-Louis sur le désengagement budgétaire de l’Etat français aux Antilles : “Réponse critique à l’interview de Madame Mireille Pierre -Louis dans Antilla”.

Nous avons présenté une synthèse de l’analyse de Mireille Pierre-Louis dans Justice n° 50 du 11 décembre 2025.

Cette critique mérite un examen.

Jean-Marie Nol reconnaît le caractère sérieux de l’analyse de l’économiste.

Grille de lecture tiers-mondiste et marxiste ?  Le gros péché

Toutefois il lui reproche une « grille de lecture tiers-mondiste et marxiste » centrée sur la notion d’ « ultralibéralisme « . Il lui préfère le concept de  » néolibéralisme « .

Il décrit le mécanisme économique en œuvre aux Antilles comme suit :  » Le poids de la dépense publique, l’ampleur de la redistribution, la densité normative et la place centrale de l’État contredisent cette lecture. Aux Antilles, près de 80 % du PIB dépend directement ou indirectement de la dépense publique : nous sommes face à une hyper-dépendance à l’État, héritée du système colonial et jamais réellement dépassée « .

La dépendance à l’égard des transferts publics ne contredit pas la redistribution sociale arrachée par les luttes populaires. Ce sont les transferts sociaux. Et l’importance de l’Etat dans l’économie aux Antilles n’empêche pas une orientation “néo-libérale” ou “ultralibérale”. Peu importe.

Hyper-dépendance de type néo-colonial : Le pacte colonial

Jean-Marie Nol prétend que « Aux Antilles en particulier, où près de 80 % du PIB est issu de la dépense publique, la réalité observable est moins celle d’un excès de libéralisme que celle d’une hyper-dépendance à la commande publique héritage du système colonial, qui rend le tissu économique vulnérable à la moindre contraction budgétaire ». Cette hyper-dépendance est un héritage du pacte colonial.

“L’hyperdépendance” de type néo colonial n’exclut pas l’application des politiques néo libérales des gouvernements des 20 dernières années. En cela, la situation des Antilles est très spéciale comme colonie. La baisse du budget des Dom 2026 en cours d’adoption aura sans doute des effets surmultipliés par rapport à l’impact social inévitable de cette politique en France.

Or il est reproché à Mireille Pierre-Louis d’affirmer que “toute réduction de la dépense publique ne peut qu’entraîner mécaniquement l’effondrement du secteur privé, car celui-ci serait structurellement incapable de prendre le relais”. Ce serait du “fatalisme économique”. Il apparait que, de fait, c’est sans doute la réalité.

Jean-Marie Nol énonce les “causes profondes” de notre dépendance selon lui : “étroitesse des marchés, coûts de production élevés, normes importées de l’Hexagone, fiscalité complexe, barrières à l’entrée, monopoles de fait et capitalisme de rente découlant du passé colonial”. C’est exact.

L’interventionnisme de l’Etat en faveur du capital dominant

Ici il assène le credo du néolibéralisme : “le problème n’est pas que l’État se retire trop, mais qu’il intervienne mal, de façon asymétrique et souvent au bénéfice d’acteurs déjà dominants”.

Il en oublie l’aspect de classe des politiques de l’Etat français et de l’Europe : leur interventionnisme se fait précisément en faveur des capitaux dominants.

 Et de dénoncer ce qu’il nomme le “rôle délétère de la question de l’assistanat” là où les aides sociales suppléent partiellement à la grande pauvreté engendrée par le système actuel. C’est ce vient de démontrer la récente étude de l’Insee sur travail et pauvreté (Insee Analyse Martinique n°80 du 11/12/2025) présentée dans Justice n°51 du 18/12/2025.

“Les Antilles, variables d’ajustement budgétaire”, selon Mireille Pierre-Louis

A ce stade, il reconnait à l’analyse de Mireille Pierre-Louis le mérite d’avoir dénoncé “un traitement différencié et politiquement assumé des territoires ultramarins, utilisés comme variables d’ajustement budgétaire. Sur ce point, la critique est difficilement contestable. Les écarts de trajectoires budgétaires entre la Réunion, la Guyane, Mayotte et les Antilles révèlent des arbitrages politiques clair (…)”. On a appliqué des restrictions budgétaires aux Antilles pour mieux pourvoir la Guyane, la Réunion et Mayotte entre 2018 et 2025, a démontré Mireille Pierre-Louis.

Quels véritables enjeux ? Le libéralisme pur et dur

Jean-Marie Nol en vient à accuser le fait d’utiliser le concept d’ “ultralibéralisme” d’écarter le débat sur ce qu’il considère constituer les véritables enjeux : “la réforme de la gouvernance économique locale, la lutte contre les rentes et l’assistanat, l’ouverture réelle à la concurrence, l’adaptation des normes, et la construction d’un secteur privé plus orienté vers la production et moins dépendant de la dépense publique”.

C’est ici que l’on retrouve un programme libéral ou ultralibéral intégral, axé sur la concurrence.

Autonomie économique et autonomie politique

Il conclut qu’il faut se libérer de l’ultralibéralisme, qualifié de   “cadre idéologique trop rigide” : “Le danger n’est peut-être pas tant un ultralibéralisme fantasmé que la persistance d’un modèle de type néo colonial unique au monde car hybride, et ni vraiment libéral, ni réellement protecteur, qui condamne les Antilles à l’asphyxie financière et à l’assistanat budgétaire sans leur offrir les moyens politiques d’une autonomie économique réelle”.

En réalité, de notre point de vue, l’actuelle politique de l’Etat français identifiée comme “ultralibérale” et s’appliquant à un “modèle de type néo colonial” tend à le maintenir.

Et effectivement il s’agit de conquérir, comme le reconnait Jean-Marie Nol, “les moyens politiques d’une autonomie économique réelle”, laquelle ne peut passer que par une autonomie politique.

Michel Branchi