L’Edito de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME) du mois de novembre 2025, porte sur le procès des 11 prévenus dans l’affaire des déboulonnages des statues en 2020 en Martinique. Il est signé Aïssata Seck, directrice de la FME.
“Ce 17 novembre, le tribunal correctionnel de Fort-de-France a rendu son verdict dans le procès des destructions de statues de Victor Schoelcher, Joséphine de Beauharnais et Pierre Belain d’Esnambuc en mai et juillet 2020 en Martinique.
Estimant que ces actes “se sont inscrits dans une action politique ou militante entreprise dans le but d’alerter sur un sujet d’intérêt général”, à savoir “la présence, dans l’espace public de la Martinique, d’une statuaire commémorative du colonialisme et de l’esclavagisme, crimes contre l’humanité”, la cour a relaxé neuf des 11 prévenus, et dispensé de peine les deux derniers.
La justice souligne ainsi la légitimité du débat sur la place des symboles de l’époque coloniale et esclavagiste. De fait, l’espace public n’est pas et n’a jamais été intangible et il est dans la nature des choses que chaque époque décide des héros et des héroïnes qu’elle souhaite y voir célébrés. En rendant cette décision d’apaisement, le tribunal renvoie ce débat sur le terrain politique où il doit se dérouler. Car débat il doit y avoir ; les statues qui peuplent nos places et les noms qui baptisent nos rues sont porteurs de sens multiples où se mêlent les actes des figures qui sont célébrées et les intentions de ceux qui ont décidé de les célébrer, les uns et/ou les autres pouvant être en complet décalage avec les valeurs actuelles de notre société.
La figure de Victor Schoelcher, dont la mémoire a été injustement étouffée sous le poids du schoelcherisme qui l’a instrumentalisée, est aujourd’hui victime d’un tel décalage, et c’est pourquoi la FME avait condamné en mai 2020 la destruction de son effigie. La question de l’espace public est aussi celle des absences en son sein ; c’est pourquoi la FME plaide depuis sa création pour que la République honore aujourd’hui les figures longtemps invisibilisées des combats contre l’esclavage et pour l’égalité comme Paulette Nardal ou Jean-Baptiste Belley.
La question n’est pas seulement, et même pas pincipalement, celle des monuments : en effet, comme l’actualité française et internationale n’a cessé de le montrer depuis, les actions menées par la société civile contre les statues ou les noms de rue n’ont en fait jamais porté sur les statues ou les noms de rue en tant que tels, mais sur ce que ces signes disent des héritages bien plus concrets que le système colonial a laissés sur notre monde, qu’il s’agisse des inégalités économiques dans les outre-mer ou du racisme anti-noir.
C’est pourquoi ces débats sont importants. Depuis sa création, la FME plaide pour qu’ils puissent avoir lieu de façon pacifique, apaisée, organisée et volontariste, et elle sera toujours aux côtés des collectivités et des institutions qui décident de s’emparer de ces sujets sensibles.” Par Aïssata Seck

