L’Institut d’émission des dom (IEDOM) de Martinique vient de publier une “synthèse annuelle 2024” de la conjoncture économique martiniquaise sous le titre “Une économie en berne, en quête de visibilité”. La tonalité est d’emblée plus pessimiste que la précédente et récente publication de mars 2025 sur la conjoncture du 4ème trimestre 2024 où l’Iedom voyait “Une économie fragilisée, mais en voie de stabilisation” (Cf Justice n°17 du 25/04/2025).
Croissance à l’arrêt

Cette analyse publiée sous le numéro 828 de mai 2025 résume : “En 2024, l’activité économique se dégrade sous l’effet d’une conjonction d’éléments défavorables liés notamment à l’instabilité politique internationale et nationale, et au mouvement social contre la vie chère de fin d’année sur le territoire. L’incertitude s’accentue, ce qui affecte la confiance des acteurs économiques et génère de l’attentisme, contredisant les perspectives plus optimistes envisagées en 2023”.
L’Institut précise : “(…) L’indice du climat des affaires (ICA) perd 8,5 points sur un an et se situe à un niveau traduisant une croissance en berne, dans l’expectative d’une meilleure visibilité et de signaux positifs. Le rythme de progression des crédits d’investissement ralentit et les indicateurs du marché du travail font également état de ce manque de dynamisme, avec un taux de chômage qui progresse. Cette évolution concerne la plupart des secteurs d’activité”.
Il commente : “Le ralentissement de l’économie, qui était perceptible au début de l’année, s’est confirmé et même accentué au second semestre. Les perturbations liées au mouvement social de lutte contre la vie chère ont amplifié une tendance déjà installée”. On est passé du “ralentissement” à une “croissance en berne”, c’est-à- dire une récession qui n’ose dire son nom.
Voyons les grands postes (agrégats) de l’économie vue par l’Iedom.
Le marché de l’emploi se dégrade

Le nombre d’emplois salariés est en baisse de 0,7 % sur l’année (-1,1 % dans le secteur privé, mais en légère progression dans le secteur public, à +0,2 %).
Le taux de chômage en 2024 s’établit à 12,4 %, contre 10,8 % en 2023, reflétant la dégradation du marché du travail. En effet, après plusieurs années de baisse, le nombre de demandeurs d’emploi (toutes catégories confondues) est en hausse en 2024. Il s’établit à 42 140 en fin d’année, soit une hausse de 1,0 % par rapport à 2023. Cette augmentation s’explique principalement par la hausse du nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (+2,2 %), et des demandeurs d’emploi de moins de 25 ans (+3,6 %).
L’inflation continue de ralentir
Après une progression des prix à la consommation de +3,3 % en moyenne sur l’année 2023, l’inflation ressort à +2,8 % en 2024, soit un niveau supérieur à celui enregistré pour la France (+2,0 % en moyenne annuelle). En glissement annuel à fin décembre, l’inflation atteint 1,8 %. Cette tendance au ralentissement devrait se poursuivre en 2025 (en lien notamment avec les composantes énergie et alimentaire).
En réponse aux revendications sur la cherté de la vie en Martinique, un protocole d’accord a été signé le 16 octobre 2024. Ce dernier prévoit notamment une baisse de prix moyenne de 20 % sur 54 familles de produits. Il est mis en application par étapes.
La consommation s’essouffle mais résiste
En 2024, la consommation fait preuve de résilience. Les recettes de TVA et d’octroi de mer sont en hausse respectivement de 0,8 % et 2,6 %, dans un contexte où l’inflation atteint néanmoins 2,8 % sur l’année. Les importations de biens de consommation durables et non durables sont en hausse respectivement de 3,4 % et 3,5 % (en valeur). En revanche, les immatriculations de véhicules pour les particuliers sont en baisse de 9,6 % par rapport à 2023 (-14,7 % en valeur).
Cependant, en fin d’année, les recettes de TVA du second semestre sont inférieures de 3,1 %(CVS) à celles du premier semestre.
La dynamique d’investissement s’érode
En 2024, les importations de biens d’investissement accusent une baisse de 6,8 % (en valeur) et les immatriculations de véhicules utilitaires chutent de 24,9 % par rapport à 2023.
Baisse des échanges commerciaux
En valeur, les importations hors produits pétroliers sont en légère baisse en 2024 par rapport à 2023 (-0,7 %).
En valeur, les exportations hors produits pétroliers diminuent de 5,2 % par rapport à 2023. Les exportations de produits agroalimentaires affichent une baisse marquée (-9,5 %) et notamment de rhum (-8,2 %).
Produits pétroliers inclus, les exportations totales diminuent de 20,8 % et les importations totales de 2,9 % (en valeur).
Le déficit commercial se maintient à 2,9 milliards d’euros.
Observons l’activité des secteurs.
Secteurs primaire et agroalimentaire : la production est de nouveau en baisse
Le secteur agricole et agroalimentaire connaît des difficultés en 2024, avec des productions en baisse.
Concernant les campagnes rhumière et sucrière, les tonnages de cannes broyées sont en légère baisse par rapport à 2023 (-1,1 %).
La sucrerie du Galion connaît toujours des difficultés. La production (661 tonnes en 2024) reste bien inférieure au tonnage initialement prévu (environ 4 000 tonnes). La production de rhum est quant à elle en baisse de 1,5 % sur l’année.
S’agissant de la banane, le marché a été porteur en 2024 et les exportations sont stables par rapport à 2023 (+0,1 %).
Enfin, dans le secteur de l’élevage, le volume d’abattage total est en baisse de -5,2 % en 2024. Dans le détail, le volume d’abattage pour la filière bovine recule de 5,0 %, de 18,9 % pour la filière porcine, et de 5,0 % pour les ovins et caprins.
Tourisme : une année mitigée
Bien que le nombre de passagers à l’aéroport soit en hausse de 1,7 % par rapport à 2023, le nombre de nuitées hôtelières est en baisse de 2,7 % sur l’année.
Le mouvement social contre la “vie chère” a généré des inquiétudes pour les professionnels du tourisme en fin d’année. Le nombre de nuitées hôtelières chute ainsi de 31,1 % au quatrième trimestre 2024 par rapport au quatrième trimestre 2023, avec un impact en cascade sur la location de voitures et les diverses activités de loisirs.
Bâtiment et Travaux Publics : dégradation
Selon l’enquête de conjoncture, l’activité des entreprises du secteur se serait dégradée en 2024. En cumul sur 12 mois, le nombre de logements autorisés ressort à 2 100 en décembre 2024, contre 2 200 en décembre 2023, soit une baisse de 4,5 %. Le nombre de logements commencés est de 1 400 en décembre 2024, contre 2 000 en décembre 2023, soit un recul de 30 %. Les ventes de ciment sont en baisse de 7,0 % par rapport à 2023.
Commerce : Une activité contrainte par le ralentissement de la consommation
Le ralentissement de la consommation impacte directement l’activité commerciale. De plus, les entreprises du secteur ont été particulièrement touchées par les événements survenus en marge du mouvement contre “la vie chère” (barrages, pillages) et par les restrictions en découlant (1er couvre-feu le 18 septembre et renouvelé à plusieurs reprises), générant des baisses sensibles de l’activité.
L’activité bancaire reste dynamique
L’encours de crédits progresse de 3,0 % (après +2,8 % en 2023), pour s’établir à 12,7 milliards d’euros, tandis que les dépôts augmentent de 2,6 % (après +1,0 % en 2023) et s’élèvent désormais à 10,3 milliards d’euros. Le déficit de place atteint ainsi 2,4 milliards d’euros, soit un niveau légèrement supérieur à celui de l’année précédente (+4,9 %).
Ménages : le rythme de progression des crédits et des dépôts se stabilise
En 2024, l’endettement des ménages progresse davantage que leur épargne. Les crédits augmentent de 3,7 %, après +3,8 % en 2023, tandis que les dépôts s’accroissent de 2,2 %, après +2,3 %.
Le recul de la production de crédits à l’habitat, amorcé l’année précédente, se confirme en 2024.
L’encours de crédits à la consommation augmente de 3,3 %. Malgré un quatrième trimestre atone, en lien avec le mouvement contre la vie chère, la progression de l’encours est légèrement supérieure en 2024 (+3,1 % par rapport à 2023). Le taux moyen s’élève à 6,14 % en fin d’année (+38 pdb sur un an).
S’agissant des dépôts, la réallocation de l’épargne vers les dépôts rémunérés est moins marquée que l’année précédente.
Entreprises : Net ralentissement des crédits d’investissement
Les crédits aux entreprises ralentissent en 2024 (+2,5 %, après +3,8 % en 2023), tandis que les dépôts connaissent un rebond (+3,7 % en 2024, après -1,2 % en 2023).
L’encours de crédits à l’investissement continue à progresser, mais à un rythme sensiblement plus faible (+3,5 % après +10,5 %).
Collectivités locales : hausse des crédits d’investissement et d’exploitation
Après un repli l’année précédente, le financement bancaire des collectivités locales est orienté à la hausse en 2024 (+5,4 % après -4,6 %).
Une dégradation des indicateurs de risque
L’encours brut de crédits douteux s’établit à près de 650 millions d’euros en 2024 (+6,5 % sur un an), soit 5,1 % de l’encours total (+0,2 pt sur un an).
De même, le nombre d’incidents de paiement sur effets des entreprises augmente d’un tiers par rapport à 2023.
Côté ménages, le nombre d’incidents au FICP (fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers) croît de 4 %, et les dépôts de dossiers de surendettement progressent de 13 %.
Quelles perspectives pour 2025 ? L’incertitude prédomine
En fin de note de conjoncture l’Iedom propose des perspectives 2025 sur la base de l’idée qu’il faut “renforcer le collectif pour faire face à la montée des incertitudes”.
Il écrit notamment : “En ce début d’année 2025, l’incertitude demeure. En effet, les tensions géopolitiques, ainsi que les mesures protectionnistes mises en oeuvre par le gouvernement américain pourraient peser sur la conjoncture internationale, avec des impacts potentiels sur l’économie locale”.
Pour relancer “une dynamique économique positive”, l’Iedom estime que la Martinique doit procéder à des “transformations”. Citons les : “Ces efforts et ces transformations doivent permettre notamment de I) concentrer l’effort d’investissement dans les secteurs porteurs d’attractivité, II) améliorer le fonctionnement des marchés des biens, des services, et du travail, III) faciliter le portage des projets (en simplifiant les processus administratifs) et réduire les délais de paiement, qui sont un frein au développement des entreprises locales IV), soutenir le développement des PME (en prenant davantage en compte leurs spécificités dans les dispositifs d’accompagnement)”.
L’iedom est optimiste et juge que pour cela la Martinique dispose d’atouts. Les atouts, selon nous, ce sont d’abord les femmes et les hommes de ce pays. Ils doivent surtout se rassembler pour changer le système actuel.
Conclusion : Baisse de l’activité frisant la récession, hausse du chômage, maintien d’une consommation en tassement mais au prix de l’accroissement de l’endettement, fort déficit des échanges commerciaux du fait des importations, recul de l’investissement, ralentissement d’une inflation élevée due en partie aux baisses de prix arrachées par le mouvement social au 4ème trimestre 2024, nécessité reconnue de transformations de l’économie et de la société, etc. Tels sont quelques enseignements à tirer de l’analyse par l’Iedom de la marche de notre économie en 2024.
Michel Branchi