Tribune : ANKLOUÈT – UN LONG COMBAT POUR S’OPPOSER AU VOL DES TERRES DES HÉRITIERS DE FELIX GRAT (Par Francis Carole)

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Ce qui est appelé “l’affaire Pinto” défraie la chronique depuis de nombreuses années. En réalité, cette affaire met en évi- dence des stratégies d’accaparement de terres en Martinique, avec -disons-le- la complicité des pouvoirs dits “publics”.

Très objectivement, une chaîne de petites et de grandes cor- ruptions, de silences complices, d’irresponsabilités patentes et d’inqualifiables lâchetés se construit anba fèy pour priver des familles martiniquaises de terres acquises honnêtement, au prix de sacrifices indicibles, par des aïeux méritants.

En cela “l’affaire Pinto” est une affaire martiniquaise, emblé-matique du mal sournois de la corruption qui, derrière les ap- parences de la normalité, gangrène dangereusement l’âme de notre pays.

Au début de cette histoire, un homme. Il s’appelle Félix GRAT. Il est né en 1838, dans les conditions du système esclavagiste. Le 17 août 1874, 26 ans après l’abolition de l’esclavage (1848), il achète, en bonne et due forme, 16 ha de terrains, aux Trois- Ilets, sur le site dit “Anklouèt”…rebaptisé par les spoliateurs, pour le fun de la spéculation foncière, “Les hameaux de la Pa- gerie”. Un parfum d’empire dans les mornes d’Anklouèt.
On imagine aisément les sacrifices consentis par Félix GRAT, sans doute avec le soutien de ses parents, pour devenir pro- priétaire de cet espace et léguer un bien précieux à sa des- cendance. La terre. Cette terre des Trois-Ilets, là où, après les affres de la déportation et de la déshumanisation, une vie pleine d’homme pouvait peut-être recommencer. Un réanchoukaj.

Face à la spoliation et aux persécutions, c’est cet héritage de l’effort et du mérite que défend, à raison, Hervé PINTO. Toutes les décisions de justice ont d’ailleurs conclu qu’il était dans son bon droit. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Fort-de-France, par jugement rendu le 11 septembre 2007, “dit que le terrain objet du litige […] faisait bien partie de la succession de Monsieur Félix GRAT ayant été régulièrement acquis par ce dernier le 17 août 1874”
Conséquemment, le Tribunal “déclare nul l’acte de notoriété éta- bli” par le “notaire de la SCP LAGARDE-MATHIE” le 23 juil- let 1985, dont l’objectif consistait à voler purement et simplement les terres des héritiers de Félix GRAT, parmi les- quels Hervé PINTO.

Enfin, le Tribunal interdit à la SCI Hameau de la Pagerie “d’ef-

fectuer tous actes de dispositions et d’administration concernant le terrain indivis”.

Par un arrêt en date du 14 janvier 2011, la Cour d’Appel de Fort-de-France, Chambre civile, confirme le jugement et toutes

 les dispositions du Tribunal de Grande Instance.

Dès lors, on s’interroge sur l’attitude des forces de gendarme- rie à l’égard de Monsieur PINTO lorsque, fort d’une décision de justice le confirmant dans ses droits, il proteste contre la pour- suite, manifestement illégale, de constructions sur le terrain fa- milial. C’est curieusement lui, et pas ceux qui contreviennent aux décisions de justice, qui est bousculé et arrêté par les gen- darmes du préfet !

Imaginez un seul instant que Hervé PINTO ait été un béké ou un “métropolitain” -ce qu’il n’a jamais souhaité être-il n’aurait pas eu à devoir se battre pour faire respecter ses droits. Les gendarmes, avec la bénédiction et l’attention soutenue du pré- fet, se seraient depuis longtemps précipités à son secours pour que “force reste à la loi.” Mais Pinto est un “nègre”.

Aux yeux du préfet, la loi et les décisions de justice ne sont pas faites pour lui… C’est ce double standard permanent de la po- litique coloniale française qui pousse à la révolte. Or, quelles que puissent être nos options philosophiques personnelles sur la propriété privée, dans le droit français, la propriété est un droit inviolable, imprescriptible et sacré. C’est d’ailleurs ce que rappellent les articles 2 et 17 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Citoyen”.

En 1982, le Conseil constitutionnel mettait le droit à la propriété sur le même plan que la liberté, la sûreté et…la résistance à l’oppression…

En colonie, tous ces principes constitutifs du droit français ne sont que des plaisanteries aux yeux de l’administration fran- çaise. Jean-Cristophe BOUVIER, celui-là même qui a la haute main sur les forces de gendarmerie en Martinique, ferait bien d’y réfléchir…

Au-delà de l’affaire PINTO, un nombre considérable de familles martiniquaises, souvent sans défense, se font ainsi déposséder de leurs biens grâce à de multiples complicités de personnes chargées de faire respecter la loi. Cela ne peut plus durer.

Francis CAROLE MARTINIQUE

Samedi 6 janvier 2024

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